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401. Quelqu’un a-t-il dit que, pour peindre avec hardiesse, il fallait surtout être vrai dans un sujet noble, et ne point charger la nature, mais la montrer nue ? Si on l’a dit, on peut le redire : car il ne paraît pas que les hommes s’en souviennent, et ils ont le goût si gâté, qu’ils nomment hardi, je ne dis pas ce qui est vraisemblable et approche le plus de la vérité, mais ce qui s’en écarte le plus.

402. La nature a ébauché beaucoup de talents qu’elle n’a pas daigné finir. Ces faibles semences de génie abusent une jeunesse ardente, qui leur sacrifie les plaisirs et les plus beaux jours de la vie. Je regarde ces jeunes gens comme les femmes qui attendent leur fortune de leur beauté : le mépris et la pauvreté sont la peine sévère de ces espérances. Les hommes ne pardonnent point aux malheureux l’erreur de la gloire.

403. Il faut souffrir les critiques éclairées et impartiales qu’on fait des hommes ou des ouvrages les plus estimables : je hais cette chaleur de quelques hommes qui ne peuvent souffrir que l’on sépare, dans ceux qu’ils admirent, les défauts des beautés, et qui veulent tout consacrer[1].

404. Oserait-on penser de quelques hommes, dont on respecte les noms, et qui ont cultivé leur esprit par un grand usage du monde et par des lectures sans choix, qu’ils nous ont charmés par des grâces qui seront un jour négligées, ou qu’ils nous ont imposé par un mérite qu’on n’a pas toujours jugé digne d’estime ? Se parer de beaucoup de connaissances inutiles ou superficielles, affecter une extrême singularité, mettre de l’esprit partout et hors de propos, penser peu naturellement et s’exprimer de même, s’appelait autrefois être un pédant[2].

  1. Ici encore, Vauvenargues pense à Corneille. — Dans les diverses éditions, cette Maxime fluit par une phrase que nous avons supprimée, parce qu’elle se trouve déjà dans la 25e Réflexion', page 85. — G.
  2. Rapprochez de la 43e Reflexion, page 100. — G.