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DE VAUVENARGUES.


il faut, dans ce cas, s’en fier plus au mouvement du cœur qui nous attire, qu’à la raison qui nous détourne. » (Maximes inédites.) Notez aussi que cette indulgence de Vauvenargues ne ressemble en rien à cette tendresse générale, vague comme une théorie, et qui, se portant sur tout, ne se fixe à rien, tendresse fort répandue au dix-huitième siècle sous le nom de sensibilité, non moins répandue au notre sous le nom de philanthropie. Sans perdre de vue l’espèce, c’est le sort de l’individu qui l’intéresse avant tout, et, sur ce point encore, il se distingue des philosophes de son siècle, qui paraissent généralement plus en souci de la destinée du genre humain que de celle de l’individu.

Mais, si Vauvenargues a mis dans un jour plus vif quelques points obscurs ou négligés de l’âme humaine ; s’il a relevé des mobiles trop dépréciés, entre autres, l’amour de la gloire ; s’il a rendu aux passions la part qui leur revient dans le champ de l’activité humaine, sa morale aussi a ses endroits faibles et vulnérables. Sans parler de ses contradictions, qui sont nombreuses, ce dédain du sens commun ou de la raison générale, qu’il n’accepte même pas comme contrôle ; cette foi exclusive au sentiment individuel, cette indépendance absolue en toutes choses, cette impatience du frein, toutes ces hardiesses voisines de la témérité, je les comprends dans Vauvenargues, mais j’en ai peur. S’il ne se fie qu’à lui, c’est que, regardant au fond de lui-même, il n’y trouve que de nobles mouvements et d’avouables désirs, et que, regardant autour de lui, dans ce siècle déjà si troublé, il ne trouve rien où la conviction puise se prendre, et la conduite s’attacher. Il n’en reste pas moins que le moyen est dangereux, et qu’on a peine à en permettre l’usage, même à des esprits de son ordre et de sa trempe. Son but, d’ailleurs, se réduit a l’approbation humaine ; Vauvenargues ne compte qu’avec les hommes ; « ils sont, dit-il, l’unique fin de mes actions, et l’objet de toute ma vie. Il ne faut pas s’y méprendre, nous ne jouissons que des hommes ; le reste n’est rien[1]. » Aussi, l’immortalité, pour lui comme pour Vergniaud, semble n’être autre chose que le pro-

  1. Discours préliminaire à l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain.