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RÉFLEXIONS

359. Catilina n’ignorait pas les périls d’une conjuration ; son courage lui persuada qu’il les surmonterait : l’opinion ne gouverne que les faibles ; mais l’espérance trompe les plus grandes âmes.

360. [Tout a sa raison ; tout arrive comme il doit être ; il n’y a donc rien contre le sentiment ou la nature. Je m’entends ; mais je ne me soucie guère qu’on m’entende.]

361. Il ne faut pas, dit-on, qu’une femme se pique d’esprit, ni un roi d’être éloquent ou de faire des vers, ni un soldat de délicatesse et de civilité, etc. : les vues courtes multiplient les maximes et les lois, parce qu’on est d’autant plus enclin à prescrire des bornes à toutes choses qu’on a l’esprit moins étendu. Mais la nature se joue de nos petites règles ; elle sort de l’enceinte trop étroite de nos opinions, et fait des femmes savantes ou des rois poètes, en dépit de toutes nos entraves.

362. On instruit les enfants à craindre et à obéir ; l’avarice, l’orgueil, ou la timidité des pères, enseignent aux enfants l’économie, l’arrogance, ou la soumission. On les excite encore à être copistes, à quoi ils ne sont déjà que trop enclins ; nul ne songe à les rendre originaux, hardis, indépendants[1].

    fausse ; l’opinion se contenterait de peu de chose, si la nature n’était insatiable. C’est l’opinion qui flatte un négociant qu’il pourra se reposer après un certain bien acquis, et c’est la nature qui le détrompe, lorsqu’il a amassé ce bien ; c’est l’opinion qui fait croire à un ambitieux qu’il sera heureux dans tel poste qu’il désire ; mais c’est la nature qui le détrompe, lorsqu’il y est parvenu ; c’est l’opinion qui persuade à un homme amoureux qu’il n’a besoin que de la possession de sa maîtresse pour vivre content ; mais c’est la nature qui lui fait désirer bientôt d’autres conquêtes. Pour parler plus exactement, c’est la nature qui nous trompe, et qui nous détrompe ; c’est elle qui borne, et qui étend nos opinions ; l’opinion est toujours à ses ordres ; que la nature soit contente, l’opinion l’est. Pourquoi avons-nous tant d’estime pour nous-mêmes, sinon parce que la nature nous la donne ? » ]

  1. Var. : [« Les hommes sont trop intéressés et trop impérieux pour apprendre à leurs enfants la générosité et l’indépendance ; ils ne leur apprennent qu’à être économes et souples ; ils les enivrent des petites choses dont eux-mêmes sont possédés ; il faudrait plutôt cultiver leur caractère propre, et leur inspirer de n’en jamais sortir. »]