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RÉFLEXIONS

352. Boileau n’a jugé de Quinault que par ses défauts, et les amateurs du poète lyrique n’en jugent que par ses beautés.

353. La musique de Montéclair[1] est sublime dans le fameux chœur de Jephté, mais les paroles de l’abbé Pellegrin[2] ne sont que belles. Ce n’est pas de ce que l’on danse autour d’un tombeau à l’Opéra, ou de ce qu’on y meurt en chantant, que je me plains ; il n’y a point de gens raisonnables qui trouvent cela ridicule : mais je suis fâché que les vers soient toujours au-dessous de la musique, et que ce soit du musicien qu’ils empruntent leur principale expression. Voilà le défaut ; et lorsque j’entends dire, après cela, que Quinault a porté son genre à la perfection, je m’en étonne ; et, quoique je n’aie pas grande connaissance là-dessus, je ne puis du tout y souscrire[3].

354. Tous ceux qui ont l’esprit conséquent ne l’ont pas juste ; ils savent bien tirer des conclusions d’un seul principe, mais ils n’aperçoivent pas toujours tous les principes et toutes les faces des choses ; ainsi, ils ne raisonnent que sur un côté, et ils se trompent. Pour avoir l’esprit toujours juste, il ne suffit pas de l’avoir droit, il faut encore l’avoir étendu ; mais il y a peu d’esprits qui voient en grand, et qui, en même temps, sachent conclure : aussi n’y a-t-il rien de plus rare que la véritable justesse. Les uns ont l’esprit conséquent, mais étroit ; ceux-là se trompent sur toutes les choses qui demandent de grandes vues ; les autres em-

  1. Montéclair (Michel), célèbre musicien, né près de Chumont en Bassigny, en 1666, montra dès sa plus tendre enfance, de la disposition pour la musique ; il reçut les premières leçons de Moreau, maître de chapelle de la cathédrale de Langres. En 1700, il vint à Paris, entra a l’orchestre de l’Opéra ; il fut le premier qui joua de la contrebasse. Il mourut en septembre 1737, suivant Du Tillet, et le 24 mars de la même année, selon l’auteur du Mercure (mars 1738, p. 566). On a de lui plusieurs ouvrages estimés des musiciens : il a mis en musique trois poèmes de l’abbé Pellegrin, et entre autres la tragédie de Jephté, représentée en 1731. — B.
  2. Pellegrin (Simon-Joseph), né à Marseille en 1663, d’abord religieux de l’ordre des Servites, et depuis abbé de Cluny, mourut le 5 septembre 1745. — B.
  3. Voir, page 253, le morceau intitulé Quinault. — G.