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xxxiv
ÉLOGE.


des fautes, et l’oisiveté, et la paresse, et le désespoir, en un mot, tout ce qui retient, tout ce qui arrête. Ce qui n’est pas mouvement, ce qui n’est pas action, il le flétrit du nom de servitude, cette servitude envahissante et corruptrice, « qui abaisse les hommes, dit-il, jusqu’à s’en faire aimer ; » il veut, enfin, que l’homme vive de toute sa vie, de toutes ses forces, de toutes ses facultés, de toutes ses passions même, à charge de les conduire et d’en rester maître. Aussi, n’y a-t-il pas de morale plus pratique que la sienne. Sans doute, il y a d’autres moralistes pratiques, Franklin, par exemple ; mais son objet est plus particulièrement l’utile ; l’objet de Vauvenargues, c’est le grand. L’un prêche l’épargne, la modération, la prudence, tout ce qui fait la vie heureuse et bien réglée ; l’autre prêche la libéralité, au besoin la profusion, la hardiesse, la témérité même, tout ce qui fait la vie forte et belle ; c’est, d’une part, le bon sens un peu intéressé ; de l’autre, le bon sens héroïque.

Parce qu’elle est pratique, la morale de Vauvenargues est indulgente ; il a la sévérité en horreur, il le dit. Cependant cette indulgence n’est ni molle, ni trop accommodante, et il n’est pas de ces hommes dont il parle dans ses Maximes, « qui traitent la morale comme on traite la nouvelle architecture, où l’on cherche avant tout la commodité. » Nous l’avons vu, c’est au sentiment qui prévient la réflexion, et n’a pu être encore altéré par elle, que Vauvenargues s’en remet pour décider des choses de l’esprit ; c’est à lui qu’il s’en remet également pour décider des choses du cœur. Il croit, comme Rousseau, que nos premiers mouvements sont les meilleurs ; « la réflexion, dit-il, qui vient ensuite, les affaiblit en les polissant, et, si les mouvements acquis sont plus achevés, ils sont en même temps plus défectueux. » Aussi, comme le Thyeste dont il parle, mettez-le en face, je ne dis pas seulement de la faiblesse, mais en face du vice et du malheur mérité, il obéira plutôt au premier mouvement de la pitié, qui absout, qu’au second mouvement de la réflexion, qui condamne, et il prononcera ces paroles profondément humaines : « Le vice n’exclut pas toujours la vertu dans un même sujet ; il ne faut pas surtout croire aisément que ce qui est aimable encore soit vicieux ;