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ET MAXIMES.

319. Il est aisé de tromper les plus habiles, en leur proposant des choses qui passent leur esprit, et qui intéressent leur cœur[1].

320. Comme il est naturel de croire beaucoup de choses sans démonstration, il ne l’est pas moins de douter de quelques autres, malgré leurs preuves.

321. Qui s’étonnera des erreurs de l’antiquité, s’il considère qu’encore aujourd’hui, dans le plus philosophe de tous les siècles, bien des gens de beaucoup d’esprit n’oseraient se trouver à une table de treize couverts[2] ?

322. L’intrépidité d’un homme incrédule, mais mourant, ne peut le garantir de quelque trouble, s’il raisonne ainsi : Je me suis trompé mille fois sur mes plus palpables intérêts, et j’ai pu me tromper encore sur la religion. Or, je n’ai plus le temps ni la force de l’approfondir, et je meurs…

323. La Foi[3] est la consolation des misérables, et la terreur des heureux.

324. La courte durée de la vie ne peut nous dissuader de ses plaisirs, ni nous consoler de ses peines.

325. Ceux qui combattent les préjugés du peuple croient n’être pas peuple : un homme qui avait fait à Rome un argument contre les poulets sacrés, se regardait peut-être comme un philosophe ; mais les vrais philosophes se moquaient d’un fou qui attaquait inutilement les opinions

  1. Vauvenargues a exprimé la même idée dans le Discours sur le Caractère des différents siècles. Les diverses éditions donnent, à la suite, une pensée reprise mot pour mot du même Discours. — Voir la note 1re, page 153. — G.
  2. Var. : « Quand je vois qu’un homme d’esprit, dans le plus éclairé de tous les siècles, n’ose se mettre à table si l’on est treize, il n’y a plus d’erreur, ni ancienne ni moderne, qui m’étonne. »
  3. [Plutôt : la Religion. — V.] — Dans la 6e lettre à Saint-Vincens, Vauvenargues dit de même : « Cette Foi, qui est la consolation des misérables, est le supplice des heureux. » — G.