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ET MAXIMES.

ment qu’il n’y avait aucune vertu. Qu’ils parlent du fantôme de leur imagination[1] ; ils peuvent à leur gré l’abandonner ou le détruire, puisqu’ils l’ont créé : mais la véritable vertu, celle qu’ils ne veulent pas nommer de ce nom, parce qu’elle n’est pas conforme à leurs définitions, celle qui est l’ouvrage de la nature, non le leur, et qui consiste principalement dans la bonté et la vigueur de l’âme, celle-là n’est point dépendante de leur fantaisie, et subsistera à jamais, avec des caractères ineffaçables.

297. Le corps a ses grâces, l’esprit ses talents ; le cœur n’aurait-il que des vices ? et l’homme, capable de raison, serait-il incapable de vertu ?

298. Nous sommes susceptibles d’amitié, de justice, d’humanité, de compassion et de raison. Ô mes amis ! qu’est-ce donc que la vertu ?

299. Si l’illustre auteur des Maximes[2] eût été tel qu’il a tâché de peindre tous les hommes, mériterait-il nos hommages et le culte idolâtre de ses prosélytes ?

300. Ce qui fait que la plupart des livres de morale sont si insipides, c’est que leurs auteurs ne sont pas sincères[3] ; c’est que, faibles échos les uns des autres, ils n’oseraient produire leurs propres maximes et leurs secrets sentiments. Ainsi, non-seulement dans la morale, mais en quelque sujet que ce puisse être, presque tous les hommes passent leur vie à dire et à écrire ce qu’ils ne pensent

  1. Var. : [ « Certes, ils ont raison : le fantôme de leur invention ni n’existe, ni ne peut être ; mais la vraie vertu, celle qui est au-dessus de leur esprit, comme au-dessus de leur cœur, et qui consiste principalement dans la supériorité des âmes fortes et tendres sur les âmes faibles, celle-là, dis-je, n’en est pas moins réelle, ni moins estimable. » ]
  2. La Rochefoucauld. — G.
  3. Var. : « C’est qu’ils supposent toujours les hommes autres qu’ils ne sont, c’est qu’ils les accablent de préceptes sévères et impraticables, c’est qu’ils ne proposent point à la vertu de vrais et d’aimables motifs. La morale serait peut-être la plus agréable et la plus utile des sciences, si elle n’était pas lu plus fardée, et ne rebutait pas ainsi les cœurs les mieux faits. »