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RÉFLEXIONS

290. Est-il contre la raison ou la justice de s’aimer soi-même ? Et pourquoi voulons-nous que l’amour-propre[1] soit toujours un vice[2] ?

291. S’il y a un amour de nous-mêmes naturellement officieux et compatissant, et un autre amour-propre sans humanité, sans équité, sans bornes, sans raison, faut-il les confondre[3] ?

292. Quand il serait vrai que les hommes ne seraient vertueux que par raison, que s’ensuivrait-il ? Pourquoi si on nous loue avec justice de nos sentiments, ne nous louerait-on pas encore de notre raison ? Est-elle moins nôtre que la volonté[4] ?

293. On suppose que ceux qui servent la vertu par réflexion, la trahiraient pour le vice utile[5] : oui, si le vice pouvait être tel, aux yeux d’un esprit raisonnable[6].

294. Il y a des semences de bonté et de justice dans le cœur des homme. Si l’intérêt propre y domine, j’ose dire que cela est, non-seulement selon la nature, mais aussi selon la justice, pourvu que personne ne souffre de cet amour-propre, ou que la société y perde moins qu’elle n’y gagne.

295. Celui qui recherche la gloire par la vertu ne demande que ce qu’il mérite[7].

296. J’ai toujours trouvé ridicule que les philosophes aient forgé une vertu incompatible avec la nature de l’homme, et que, après l’avoir ainsi feinte, ils aient prononcé froidement

  1. Amour-propre employé encore pour amour de soi. — S.
  2. [Bien, très-bien. — V.]
  3. [Bien, très-bien. — V.]
  4. [Bien, très-bien. — V.]
  5. Var. : « Point du tout : l’intérêt d’un esprit bien fait ne se trouve guère dans le vice, et son inclination et sa raison y répugnent trop fortement. »
  6. [Bien, très-bien. — V.]
  7. [Bien, très-bien. — V.] La plupart de ces idées se retrouvent, en substance, dans les 24e et 43e chap. de l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain. — G.