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ET MAXIMES.

on ne les trompe pas longtemps sur leurs intérêts, et ils ne haïssent rien tant que d’être dupes. C’est par cette raison qu’il est si rare que la fourberie réussisse ; il faut de la sincérité et de la droiture, même pour séduire. Ceux qui ont abusé les peuples sur quelque intérêt général, étaient fidèles aux particuliers ; leur habileté consistait à captiver les esprits par des avantages réels. Quand on connaît bien les hommes, et qu’on veut les faire servir à ses desseins, on ne compte point sur un appât aussi frivole que celui des discours et des promesses[1]. Ainsi les grands orateurs, s’il m’est permis de joindre ces deux choses, ne s’efforcent pas d’imposer par un tissu de flatteries et d’impostures, par une dissimulation continuelle, et par un langage purement ingénieux ; s’ils cherchent à faire illusion sur quelque point principal, ce n’est qu’à force de sincérité et de vérités de détail[2] ; car le mensonge est faible par lui-même ; il faut qu’il se cache avec soin ; et s’il arrive qu’on persuade quelque chose par des discours captieux, ce n’est pas sans beaucoup de peine. On aurait grand tort d’en conclure que ce soit en cela que consiste l’éloquence. Jugeons, au contraire, par ce pouvoir des simples apparences de la vérité, combien la vérité elle-même est éloquente, et supérieure à notre art[3].

277. Un menteur est un homme qui ne sait pas tromper ; un flatteur, celui que ne trompe ordinairement que les sots : celui qui sait se servir avec adresse de la vérité, et qui en connaît l’éloquence, peut seul se piquer d’être habile[4].

278. Qui a plus d’imagination que Bossuet, Montaigne,

  1. Var. : « Ceux qui veulent toujours tromper, ne trompent point. » — Voir la Maxime 97e, page 383. — G.
  2. Add. : [ « Parce qu’ils sont très-convaincus que la vérité est nécessaire à l’éloquence, dont elle est le but naturel ; ceux qui emploient leurs paroles pour une autre fin, ne connaissent guère cet art ; ils suivent l’ombre au lieu du corps, et s’égarent visiblement. » ]
  3. Var. : « Ceux qui emploient leurs paroles pour une autre fin que la vérité, ne connaissent pas les principes de l’éloquence. S’ils persuadent quelquefois les hommes par de simples apparences, qu’ils jugent par ce succès combien la vérité elle-même est éloquente et supérieure à leur art. »
  4. [Beau. — V.]