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RÉFLEXIONS

261. Lorsqu’on ne veut rien perdre ni cacher de son esprit, on en diminue d’ordinaire la réputation.

262. Des auteurs sublimes n’ont pas négligé de primer encore par les agréments, flattés de remplir l’intervalle de ces deux extrêmes, et d’embrasser toute la sphère de l’esprit humain[1]. Le public, au lieu d’applaudir à l’universalité de leurs talents, a cru qu’ils étaient incapables de se soutenir dans l’héroïque ; et on n’ose les égaler à ces grands hommes qui, s’étant renfermés soigneusement dans un seul et beau caractère[2], paraissent avoir dédaigné de dire tout ce qu’ils ont tu, et abandonné aux génies subalternes les talents médiocres.

263. Ce qui paraît aux uns étendue d’esprit n’est, aux yeux des autres, que mémoire et légèreté.

264. Il est aisé de critiquer un auteur, mais il est difficile de l’apprécier.

265. Je n’ôte rien à l’illustre Racine, le plus sage et le plus éloquent des poètes, pour n’avoir pas traité beaucoup de choses qu’il eût embellies, content d’avoir montré dans un seul genre la richesse et la sublimité de son esprit ; mais je me sens obligé de respecter un génie hardi et fécond, élevé, pénétrant, facile, plein de force, infatigable ; aussi ingénieux et aussi aimable[3] dans les ouvrages de pur agré-,

  1. Var. : « Flattés de remplir l’intervalle qui sépare les extrémités, et de contenter tous les goûts. »
  2. Var. : « Soigneux de conserver dans tous leurs écrits un caractère plein de dignité et de noblesse, » etc.
  3. Var. : « Aussi vif et ingénieux dans les petites choses, que vrai et pathétique dans les grandes ; toujours clair, concis et brillant ; philosophe et poète illustre au sortir de l’enfance ; répandant sur tous ses écrits l’éclatante et forte lumière de son jugement ; instruit, dans la fleur de son âge, de toutes les connaissances utiles au genre humain ; amateur et juge éclairé de tous les arts ; savant à imiter toute sorte de beautés, par la grande étendue de son génie, et maître dans les genres les plus opposés. J’admire la vivacité de son esprit, sa délicatesse, son érudition, et cette vaste intelligence qui comprend si distinctement tant de faits et d’objets divers. Bien loin de critiquer ses endroits faibles ou ses fautes, je m’étonne qu’ayant