Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
RÉFLEXIONS

humain, sans nous compromettre[1]. Cette vanité ridicule a rempli les livres des philosophes d’invectives contre la nature. L’homme est maintenant en disgrâce chez tous ceux qui pensent, et c’est à qui le chargera de plus de vices ; mais peut-être est-il sur le point de se relever, et de se faire restituer toutes ses vertus ; car rien n’est stable, et la philosophie a ses modes comme les habits, la musique, l’architecture, etc.[2]

220. Sitôt qu’une opinion devient commune, il ne faut point d’autre raison pour engager les hommes à l’abandonner, et à embrasser l’opinion contraire, jusqu’à ce que celle-ci vieillisse à son tour, et qu’ils aient besoin de se distinguer par d’autres choses. Ainsi, s’ils atteignent le but dans quelque art ou dans quelque science, on doit s’attendre qu’ils le passeront bientôt pour acquérir une nouvelle gloire ; et c’est ce qui fait, en partie, que les plus beaux siècles dégénèrent si promptement, et qu’à peine sortis de la barbarie, ils s’y replongent.

221. Les grands hommes en apprenant aux faibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l’erreur[3].

  1. Il est évident que Vauvenargues pense à La Rochefoucauld. — G.
  2. [Bien. — V.] — Var. : « La philosophie a ses modes comme l’architecture, les habits, la danse, etc. L’homme est maintenant en disgrâce chez les philosophes, et c’est à qui le chargera de plus de vices ; mais peut-être est-il sur le point de se relever, et de se faire restituer toutes ses vertus. » — Autre Var. : « Ce qu’on voit tous les jours dans le monde est arrivé dans la morale : l’homme étant tombé dans la disgrâce des philosophes, ç’a été à qui le chargerait de plus de vices. S’il arrive jamais qu’il se relève de cette dégradation, et qu’on le remette à la mode, nous lui rendrons à l’envi toutes ses vertus, et bien au delà. » — Vauvenargues avait deviné juste et les d’Holbach et les Lamettrie vont lui donner prochainement raison. M. Baudrillart remarque à ce sujet : « Oui, Vauvenargues, vous l’avez dit : tous ceux qui vont venir n’y manqueront pas. Ils vont restituer à l’homme ses vertus, et bien au delà ; les philosophes d’en deçà et d’au delà du Rhin ne parleront plus que de l’excellence de la nature humaine ; il semble qu’elle hérite en un jour de tous les éloges qu’on lui a refusés pendant des siècles ; les injures qu’elle reçoit depuis dix-huit cents ans de tous les côtés vont être bien réparées, et cette reine déchue et réduite en servitude, une fois replacée sur son trône, n’aura plus désormais que des flatteurs qui la diviniseront. » — G.
  3. [Très-bien. — V.]