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RÉFLEXIONS

sion[1]. Un esprit perçant fuit les épisodes, et laisse aux écrivains médiocres le soin de s’arrêter à cueillir toutes les fleurs qui se trouvent sur leur chemin. C’est à eux d’amuser le peuple, qui lit sans objet, sans pénétration, et sans goût.

214. Le sot qui a beaucoup de mémoire est plein de pensées et de faits ; mais il ne sait pas en conclure : tout tient à cela.

215. Savoir bien rapprocher les choses, voilà l’esprit juste ; le don de rapprocher beaucoup de choses et de grandes choses, fait les esprits vastes[2]. Ainsi, la justesse paraît être le premier degré, et une condition très-nécessaire de la véritable étendue d’esprit.

216. Un homme qui digère mal, et qui est vorace[3], est peut-être une image assez fidèle du caractère d’esprit de la plupart des savants.

217. Je n’approuve point la maxime qui veut qu’un honnête homme sache un peu de tout. C’est savoir presque toujours inutilement, et quelquefois, pernicieusement, que de savoir superficiellement et sans principes. Il est vrai que la plupart des hommes ne sont guère capables de connaître profondément ; mais il est vrai aussi que cette science superficielle qu’ils recherchent, ne sert qu’à contenter leur vanité. Elle nuit à ceux qui possèdent un vrai génie ; car elle les détourne nécessairement de leur objet principal, consume leur application dans les détails, et sur des objets étrangers à leurs besoins, et à leurs talents naturels ; et, enfin elle ne sert point, comme ils s’en flattent, à prouver l’étendue de leur esprit : de tout temps on a vu des hommes qui savaient beaucoup avec un esprit très-médiocre ; et, au

  1. C’est le précepte d’Horace : Festina ad eventum. — G.
  2. Var. : « Le don de rapprocher beaucoup de choses, et de grandes choses, c’est l’esprit étendu : de là, l’exclusion naturelle de tout esprit faux. »
  3. Var. : « C’est l’image de beaucoup d’esprits. »