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ET MAXIMES.

divers genres, on n’a pas ordinairement assez d’égard à la subordination de leurs talents, et Despréaux va de pair avec Racine : cela est injuste.

211. J’aime un écrivain qui embrasse tous les temps et tous les pays, et rapporte beaucoup d’effets à peu de causes ; qui compare les préjugés et les mœurs des différents siècles ; qui, par des exemples tirés de la peinture ou de la musique, me fait connaître les beautés de l’éloquence et l’étroite liaison des arts. Je dis d’un homme qui rapproche ainsi les choses humaines[1], qu’il a un grand génie, si ses conséquences sont justes ; mais, s’il conclut mal, je présume qu’il distingue mal les objets, ou qu’il n’aperçoit pas d’un seul coup d’œil tout leur ensemble, et qu’enfin quelque chose manque à l’étendue ou à la profondeur de son esprit[2].

212. On discerne aisément la vraie de la fausse étendue d’esprit ; car l’une agrandit ses sujets, et l’autre, par l’abus des épisodes et par le faste de l’érudition, les anéantit.

213. Quelques exemples, rapportés en peu de mots et à leur place, donnent plus d’éclat, plus de poids, et plus d’autorité aux réflexions ; mais trop d’exemples et trop de détails énervent toujours un discours. Les digressions trop longues ou trop fréquentes rompent l’unité du sujet, et lassent les lecteurs sensés, qui ne veulent pas qu’on les détourne de l’objet principal, et qui, d’ailleurs, ne peuvent suivre, sans beaucoup de peine, une trop longue chaîne de faits et de preuves[3]. On ne saurait trop rapprocher les choses, ni trop tôt conclure : il faut saisir d’un coup d’œil la véritable preuve de son discours, et courir à la conclu-

  1. Var. : « Qu’il les voit en grand, si ses conséquences sont justes ; car, s’il conclut mal, il voit mal, et n’a pas l’esprit étendu. »
  2. [Il a l’esprit étendu, sans justesse. — V.]
  3. Var. : « Rien n’affaiblit plus un discours que de proposer trop d’exemples, et d’entrer dans trop de détails. Les digressions trop longues, ou trop fréquentes, rompent l’unité, et fatiguent, parce que l’esprit ne peut suivre une trop longue chaîne de faits et de preuves. »