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RÉFLEXIONS

la perfection des choses, que l’imperfection de notre esprit[1].

204. Ce n’est pas un grand avantage d’avoir l’esprit vif, si on ne l’a juste : la perfection d’une pendule n’est pas d’aller vite, mais d’être réglée.

205. Parler imprudemment et parler hardiment, est presque toujours la même chose ; mais on peut parler sans prudence, et parler juste ; et il ne faut pas croire qu’un homme a l’esprit faux, parce que la hardiesse de son caractère ou la vivacité de son humeur lui auront arraché, malgré lui-même, quelque vérité périlleuse.

206. Il y a plus de sérieux que de folie dans l’esprit des hommes. Peu sont nés plaisants ; la plupart le deviennent par imitation, froids copistes de la vivacité et de la gaîté[2].

207. Ceux qui se moquent des goûts sérieux aiment sérieusement les bagatelles[3].

208. Différent génie, différent goût : ce n’est pas toujours par jalousie que réciproquement on se rabaisse.

209. On juge des productions de l’esprit comme des ouvrages mécaniques. Lorsque l’on achète une bague, on dit : celle-là est trop grande, l’autre est trop petite ; jusqu’à ce qu’on en rencontre une pour son doigt. Mais il n’en reste pas chez le joaillier, car celle qui m’est trop petite va fort bien à un autre.

210. Lorsque deux auteurs ont également excellé en

  1. La seconde partie de cette Maxime n’est pas la conclusion immédiate de la première ; ce sont deux pensées simplement juxtaposées. Vauvenargues développe la seconde dans le morceau Sur l’économie de l’univers (voir p. 218). — G.
  2. Var. : « La plupart des hommes naissent sérieux ; il y a des plaisants de génie, mais en petit nombre ; les autres le deviennent par imitation, et forcent la nature, pour suivre la mode. » (Voir le 17e chap. de l’Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain, et le 22e Caractère (Le Rieur). — G.
  3. [Trivial. — V.]