Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/442

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
RÉFLEXIONS

qu’il n’a jamais eu de courage pendant sa santé, parce qu’il en aura manqué à l’agonie ?

142. Pour exécuter de grandes choses, il faut vivre comme si on ne devait jamais mourir[1].

143. La pensée de la mort nous trompe, car elle nous fait oublier de vivre[2].

144. Je dis quelquefois en moi-même : La vie est trop courte pour mériter que je m’en inquiète ; mais si quelque importun me rend visite, et m’empêche de sortir ou de m’habiller, je perds patience, et je ne puis supporter de m’ennuyer une demi-heure.

145. La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d’affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l’oisiveté, l’abandon et l’oubli d’eux-mêmes[3].

146. Si toute notre prévoyance ne peut rendre notre vie heureuse, combien moins notre nonchalance[4] !

147. Personne ne dit le matin : Un jour est bientôt passé, attendons la nuit ; au contraire, on rêve, la veille, à ce que l’on fera le lendemain. On serait bien marri[5] de passer un seul jour à la merci du temps et des fâcheux ; on n’oserait même laisser au hasard la disposition de quelques heures, et l’on a raison ; car qui peut se promettre de passer une heure sans ennui, s’il ne prend soin de remplir à son gré ce court espace ? Mais ce qu’on n’oserait se promettre pour une heure, on se le promet quelquefois pour toute la vie, et l’on dit : Si la mort finit tout, pourquoi se donner tant de soins ? Nous sommes bien fous de nous tant inquiéter de l’avenir ; c’est-à-dire : Nous sommes bien fous de ne pas

  1. [Très-bien. — V.]
  2. [Très-bien. — V.] — Voir l’Avertissemnt, page 373. — G.
  3. [Très-bien. — V.]
  4. [Très-bien. — V.]
  5. Cette expression, actuellement de peu d’usage, s’employait encore au milieu du dix-huitième siècle. — S. — La 1re édition donnait : fâché ; mais Vauvenargues a remplacé le mot, à cause de fâcheux, qui suit. — G.