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DE VAUVENARGUES.


veillent la pitié d’une âme tendre, contristent le cœur, et plongent l’esprit dans une rêverie attendrissante ? »

Original, mais inachevé comme critique, inachevé aussi comme écrivain, Vauvenargues n’est vraiment supérieur que comme moraliste. Je dis moraliste, et non philosophe, car son Introduction à la Connaissance de l’Esprit humain ne se recommande elle-même que par la partie morale. Voltaire en admirait avec raison quelques pages, et le chapitre Du Bien et du Mal moral lui paraissait un des plus beaux morceaux philosophiques de notre langue ; mais, il faut l’avouer, la métaphysique de ce livre est faible, et se réduit à une nomenclature, sèche et incomplète d’ailleurs, de l’âme humaine, où le manque de connaissances précises et sûres est trop visible. C’est aussi le défaut de son traité sur le Libre-arbitre, où l’on est étonné de voir Vauvenargues, l’apôtre de l’action, contester à son tour la volonté humaine, déjà négligée au dix-septième siècle par Descartes, ou sacrifiée à l’envi par Port-Royal, Malebranche et Spinoza. Sans doute, dans ses divers ouvrages, son heureux instinct lui fait rencontrer de précieuses vérités de détail ; mais sa jeunesse, son inexpérience, et son dédain pour la science acquise, ne lui ont pas permis d’aller bien avant dans un ordre d’idées tout théorique, ou il faut savoir beaucoup, pour découvrir un peu. Si Vauvenargues est un moraliste de premier ordre, c’est que la morale, science avant tout pratique, se passe plus aisément de savoir ou d’études profondes ; une certaine pénétration d’esprit, un sens droit, un regard clair peuvent y suffire. Quand le moraliste a pris une vue sommaire du monde, il sait à peu près tout ce qu’il faut savoir ; il peut, dès-lors, se replier sur lui-même, ne plus étudier que lui-même, parce que la nature humaine, saut quelques variétés tout extérieures, est, au fond, simple et une à ce point, qu’elle se trouve à peu près entière dans un esprit bien fait et dans une âme bien douée. La solitude, même, est favorable, est nécessaire au moraliste : sans doute, pour connaître les hommes, il faut les avoir pratiqués, mais, pour en bien juger, il faut se mettre à distance. J.-J. Rousseau raconte qu’il ne pouvait peindre les objets en face, et sous le coup de l’impression qu’il en recevait ; il ne les démêlait bien, et