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DE VAUVENARGUES.


claré que c’en était fait de la poésie lyrique, si elle ne renonçait à ses formes traditionnelles, et ne renouvelait son inspiration. S’il est arrivé, plus d’une fois, à cette sûreté de vue et à cette nouveauté dans la critique, c’est qu’il y introduisait un élément nouveau, l’âme. Non-seulement « l’âme, dit-il, et non l’esprit, fait les grands poètes, les grands orateurs, les grands ministres et les grands capitaines ; » mais, seule aussi, elle a qualité pour les juger. Cette part faite à l’âme, c’est-à-dire au sentiment, dans l’appréciation des choses de l’esprit, explique à la fois, et la force réelle, et la faiblesse de sa critique. Ainsi, parce que le ton, souvent surélevé, de Corneille choque le sentiment de Vauvenargues, son goût n’aperçoit plus les immortelles beautés de ce génie. Il semble étrange pourtant que la grandeur de Corneille n’ait pas saisi un homme aussi passionné que l’était Vauvenargues pour la grandeur : c’est que la simplicité en est pour lui la condition, et les héros de Corneille ne lui paraissent pas assez simples ; comme Fénelon, quand il entend l’Auguste de Cinna, il pense à l’Auguste de Suétone. Le sentiment de Vauvenargues répugnait au ridicule ; voilà pourquoi, comme Fénelon encore, il ne rend pas assez justice à Molière, ni même à La Bruyère. Plein de respect pour l’humanité, il lui en coûte de voir qu’on peut la prendre par le côté plaisant ; il ne veut pas qu’on raille en pareille matière, et il dirait volontiers comme l’Évangile : Malheur à ceux qui rient ! Il n’a pas senti que, dans Molière surtout, le rire n’est qu’à la surface, que la tristesse est au fond de son œuvre, comme elle était au fond de sa vie ; il n’a pas senti que Molière est au nombre des esprits les plus graves de l’humanité, et qu’à bon droit la postérité lui a confirmé le beau nom de contemplateur.

Le meilleur titre littéraire de Vauvenargues, c’est son style. Sa langue, il est vrai, n’est pas toujours sûre ; parfois même, elle est incorrecte ; mais elle est forte, elle est saine, parce qu’elle est prise aux meilleures sources. Vauvenargues ressemble à ces étrangers qui, n’ayant étudié le français que dans les modèles, en retiennent les formes les plus achevées. Dans le style, comme dans le caractère, ce sont les qualités fermes et vives qu’il estime le plus, et, comme les écrivains qui ont été militaires, on dirait qu’il