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ÉLOGE.


gues, c’est qu’ils sont pleins de lui ; c’est qu’il y a peu de ses Caractères où ne se rencontre quelque détail intime et personnel ; c’est que, dans les Dialogues surtout, il est presque toujours l’un des interlocuteurs. Qu’on lise, entre autres, Renaud et Jaffier, et surtout Brutus et le Jeune Romain : ce jeune Romain, c’est encore Vauvenargues ; la guerre, l’éloquence, les affaires, toutes ses ambitions, tous ses mécomptes sont là, et la peinture de ce jeune homme qui a aimé en vain toutes les grandes choses, et meurt privé de l’immortalité qu’il a rêvée, n’est que le tableau trop fidèle de la vie de Vauvenargues, et le retentissement de ses secrètes douleurs. Il en jugeait sans doute ainsi lui-même, car, bien qu’il eût mis la dernière main à la plupart de ces Caractères et de ces Dialogues, il n’en a rien publié. C’était un testament ; il ne devait être ouvert qu’après la mort.

On peut reprocher à la critique de Vauvenargues quelques excès dans la louange ou dans le blâme ; mais elle est originale, et bien des choses sont devenues communes, qu’il a dites le premier. On sait que c’est à propos de Corneille et de Racine qu’il entra en correspondance avec Voltaire. Fontenelle, dont la vie fut si longue, avait eu le temps de suivre ses rancunes ; pour lui, la question de prééminence entre les deux grands tragiques du dix-septième siècle n’était pas seulement une question de famille ; car, au neveu du grand Corneille s’ajoutait l’auteur d’Aspar, si cruellement maltraité par Racine. Longtemps, Fontenelle avait été sans autorité ; mais, en 1740, il était à juste titre un des hommes les plus considérables et les plus écoutés dans le monde littéraire. Racine donc était en discrédit, lorsque Vauvenargues vint justifier le mot célèbre de Boileau : On y reviendra. Sans doute, sa prévention contre Corneille est trop entière, et Voltaire eut raison d’en rabattre ; mais, quand on relit les jugements de ce jeune homme sur nos grands écrivains, on comprend que Voltaire ait été surpris d’un sens littéraire à la fois si délicat, et si vif. On peut encore, même aujourd’hui, trouver Vauvenargues trop sévère contre J.-B. Rousseau, et contre la poésie lyrique de son temps ; mais il faut aussi remarquer que, seul dans son siècle, il a pressenti le mouvement lyrique du nôtre, ou, du moins, dé-