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SUR QUELQUES CARACTÈRES.


A0. — [nanars, ou ti Sotlc ambition.] À [Hermes, peu considéré dans sa province où la v`ertu est traversée par l'envie, et, d'ailleux·s, ne trouve guère d'em- ploi, est venu demander justice à Paris, la patrie commune des talents. Sa secrète ambition était de se produire dans le monde, et dans ce qu’on appelle bonne compagnie; il n’a rien négligé dans ce dessein, et, s’il connaissait un homme de qualité pour l’avoir· rencontré à. l’armée ou en voyage, il le priait à souper avec un cortége d’amis, et allait régu- lièrement se faire-refuser à sa porte deux fois par semaine. Hermas voulait aussi qu’on lui crut de l’esprit, et faisait des avances aux gens de lettres; il les abordait au spec- tacle , et entrait en conversation avec eux, sans les con- naitre; il faisait, d' ailleurs, des romans copiés de l'abhé Prég vost, et, dès qu'il paraissait un nouveau poème dans le monde, on avait aussitot d'Hermas une longue critique en prose, qu’on vendait au bout du Pont—Neuf ou à la porte du Palais·Royal. Hermes jouait aussi un jeu considérable, sa- _ chant que, de tout temps, le jeu a donné une entrée gra- cieuse dans le monde; mais il était si malheureux qu'il . U perdait son argent en mauvaise compagnie, sans que per— ceux de Clèon et de Clodlus qui suivent, commencent, comme tous les au- tres, par la description morale, mais llnissent par le roman. Presque toujours, quand il traite des atfections ambitieuses, Vauvenargues emploie ce procédé, qui donne I penser, non-seulement sur la part d’îmsgination qu’il melait a l'ob- servation des caractères, mais aussi sur les sourdes aspirations et les secrètes hlessurœ de son cœur. Tourmente lui-meme, pendant toute sa vie, d'une ambition que le temps et les occasions ont trompée, et qui souvent, d'ailleurs, allait au-dela du possible, il aime L parler de cette passion malheureuse et toujours comprimée, comme on aime A parler des affections déçues; il se con- sole dela réalité par la tlction; il idealise œs espérances, ou plutot, ses re- grets dans de grandes scènes iznaginaireswù, au milieu de traits évidemment impersonnels et grossi: A dessein, son propre personnage se retrouve encore. Qu'on rapproche de ces Caractères plusieurs Ré/luiom que nous avons de- signées I leur place, et quelques Dialogues, cntr’autres celui de Brutus et le jeune Romain; tous ces morceaux se tiennent, répondent a une meme pensée, et trahissent dans Vauvenargues une agitation intérieure, quo, comme Clean · il adissimulée au-dehors, et qui, ]usqu'a present, u'avait pas été soupçon- née.Vauvenargues est d'autant mieux reconnaissable peut-·etre,qu’ilse croit mieux déguisé sous le costume romain,et nc s'inquiète plus du lecteur, qu'il croit avoir sullisamment déroulé. — G. ·