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DE VAUVENARGUES.


pas pour moi, seule et délaissée dans ses maux, où mon âme espérerait-elle ? Serait-ce à la vie, qui m’échappe et me mène vers le tombeau par les détresses ? Serait-ce à la mort, qui anéantirait avec ma vie tout mon être ? »

Vauvenargues n’eut pas le prix, et il en conçut quelque humeur ; car il écrit dans ses Maximes ces paroles, dont je demanderais pardon à l’Académie, s’il n’y avait prescription : « Pourquoi appelle-t-on académique un discours fleuri, élégant, ingénieux, harmonieux (c’est celui de son heureux rival), et non pas un discours vrai, fort, lumineux et simple (c’est le sien) ? Où cultivera-t-on la vraie éloquence, si on l’énerve dans l’Académie ? »

Dans ses Dialogues, c’est Fénelon qu’il imite ; dans ses Caractères, c’est Théophraste, c’est Fénelon encore, plutôt que La Bruyère. Il sent vivement la perfection du style de La Bruyère, mais cette perfection même le décourage : « ce ne sont pas des beautés, dit-il, où l’imitation puisse atteindre. » Il faut le dire aussi, cette phrase savante et chargée de nuances, qui convient à un homme passionné pour les détails, n’était pas dans le tour d’esprit de Vauvenargues ; sa sobriété, parfois voisine de la sécheresse, s’accommodait mieux de la simplicité un peu nue de Théophraste, et, comme les sculpteurs antiques, il préfère la pureté des lignes à la richesse des ornements. La Bruyère, d’ailleurs, s’attache, de préférence, à la satire de nos ridicules et de nos petitesses ; Vauvenargues se propose la description sérieuse des grands mouvements de l’âme humaine, dans le bien et dans le mal ; La Bruyère, pour l’objet partiel qui l’occupe, n’a pas besoin de sortir de son temps, car il y trouve matière suffisante à ses tableaux ; Vauvenargues, dont le regard est plus général, réclame le droit de sortir quelquefois de son siècle, à la condition de ne sortir jamais de la nature, et, en même temps qu’il s’autorise, sur ce point, de l’exemple de Fénelon, il n’hésite pas à déclarer que les portraits de La Bruyère paraissent petits, quand on les compare à ceux du Télémaque[1]. Mais ce qui doit attirer surtout l’attention sur les Caractères et sur les Dialogues de Vauvenar-

  1. Voir un fragment de Vauvenargues, intitulé : Sur la difficulté de peindre les Caractères ; voir aussi la Préface de ses Caractères.