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SUR QUELQUES CARACTÈRES.


maines, comme il sait épuiser le pour et le contre du méme sujet, mettre tout dans le meilleur jour, et rapprocher les contraires, il saisit en peu de temps le secret endroit par où l'on peut concilier des opinions extremes, et il conclut de manière qu'aucun de ceux qui s’en sont rapportés a ses lumières ne le désavoue. ll ne sait point briller dans un souper et dans une conversation coupée, interrompue, où chacun suit sans considération les vivacités de son imagi­nation ou de son humeur; mais l’art de plaire et de dominer dans un entretien sérieux[1], les douces complaisances, et les charmes d'un commerce engageant et séducteur, sont les dons aimables que la nature lui a dispensés; l'homme du monde le plus éloquent quand il faut fléchir une âme hau­taine ou exciter un homme faible, consoler un malheureux ou inspirer du courage et de la confiance à une âme timide et réservée[2], il sait attendrir, abattre, convaincre, échauffer, selon le besoin; il a cette sorte d’esprit qui sert a gouver­ner le cœur des hommes, et qui est propre à toutes les choses dont la fin est noble, utile, et grande.]

34. — Ergaste, ou lOfficieux par vanité.

Ergaste n’avait ni esprit, ni passions, mais une excessive vanité qui lui tenait lieu d’âme, et qui était le principe de tout ce qu'on voyait en lui, sentiments, pensées, discours; c‘était là tout son fonds et tout son être. ll n'aimait ni les femmes, ni le jeu, ni la musique, ni la conversation; tous les hommes, tous les pays, tous les livres lui étaient égaux; il n’aimait rien. Il n'avait que cette passion démesurée d’éblouir et de plaire, qui possède si souverainement les âmes faibles; tout ce qui donne de la considération dans le monde

  1. Dans une lettre à madame d'Espagnac, écrite le 16 octobre 1796, c'est-à-dire près de cinquante ans aprés la mort de Vauvenargues, Marmontel conserve un souvenir bien vif et bien présent des entretiens de Vauvenargues avec Voltaire; c’est le cas de le rappeler ici. — G.
  2. Pour achever la ressemblance, notons que c’est la, précisément, l’objet que se propose Vauvenargues dans les Conseils à un Jeune Homme, dans les Réflexions sur divers sujets, dans les Discours sur la Gloire, sur les Plaisirs, dans les Maximes, on pourrait dire dans presque tous ses ouvrages. — G.