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308 ESSAI très-persuadé que les grands hommes sont ceux qui ont su le plus habilement tromper les autres., César, selon lui, n’a été clément, Marius sévère, Scipion modéré, que parce qu'il convenait ainsia leurs intérèts; il croît que Caton et Brutus auraient été de petits-maîtres dans ce siècle, parce qu'il leur eût été plus honorable et plus utile de l’étre. Si on lui nomme M. de Turenne ou le maréchal de Vauban, si sin- cèrement vertueux malgré la mode, il n’estime pas de tels personnages, qui n'ont été grands, dit-il, que par instinct, et les traite de petits génies, avec quelques femmes de ses amies qui ont de l'esprit comme les anges. En un mot, il est convaincu qu’on ne fait de véritablement grandes choses que par réflexion, et rapporte tout à l'esprit, comme tous ceux qui manquent par le cœur, et qui, croyant ne dépendre · que de la raison, sont éternellement les dupes de l'opinion et du plus petitamour-propre. 16. — cAi.ms·rm·;m:. Callisthène ne connaît pas le plaisir qu'il peut y avoir dans un entretien familier, et à. épancher son cœur dans le secret. S’il est seul avec une femme ou avec un homme d'esprit, il attend avec impatience le moment de se retirer. Quoiqu'il soit assez vif, laborieux, pénétrant, d’un esprit orné et agréable, il parait ennuyé et froid; il est grand par- leur, mais il ne parle point; il baille, il regarde sa montre; il se lève et il se rasseoit; on sent qu'il n’est point à sa place, et que quelque chose lui manque. Il lui_ faut un théâtre, une école, et un peuple qui l’environne; là, il parle seul et longtemps, et parle quelquefois avec force et avec sagesse. Les obligations indispensables de sa place, ses étu- des, ses distractions, ses attentions scrupuleuses pour les grands, la préoccupation de son mérite ne lui laissent pas le loisir de cultiver ses amis, ni méme d’avoir des amis; le commerce des grands, qui le recherchent, lui a fait perdre le goût de ses égaux; il s'ennuie de ceux qu'il estime, lorsqu'ils n'ont que de Pagrément et du mérite, quoiqu'il ne prime