Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
xxii
ÉLOGE.


ne le trouble pas, Voltaire avait vu dans ce jeune homme un homme d’élite. En vain Vauvenargues se présente à lui comme un respectueux disciple : Voltaire le traite en maître, ou du moins en égal ; et Voltaire a cinquante ans, et Vauvenargues n’en a pas trente ; Voltaire est au fort de son génie et de sa gloire, et Vauvenargues, qui débute à peine dans la carrière, ne peut se recommander encore que de simples essais littéraires.

Ils se réduisaient à quelques ouvrages assez courts, où l’imitation domine. Vauvenargues savait peu, et faisait bon marché du savoir ; à la veille de l’Encyclopédie, il a plus d’un trait contre les esprits qui se croient universels ou qui voudraient l’être ; « il faudrait plutôt, dit-il, corriger les hommes d’apprendre des choses inutiles. » Il rappelle volontiers que Socrate savait beaucoup moins que Bayle ou que Fontenelle, et il en conclut que la science sert de peu. L’antiquité lui était fermée, et il avait contre le moyen-âge les préventions de son temps ; en sorte que l’esprit humain ne date pour lui que de Montaigne. En effet, sa filiation littéraire ne remonte pas plus haut, et si l’on ajoute que, dans son siècle, il n’a guère d’admiration que pour Voltaire, on voit que ses modèles se réduisent à un petit nombre. Il est vrai que ce sont les meilleurs, car c’est Racine, c’est Bossuet, c’est surtout Pascal et Fénelon. Sa méthode, il l’annonce lui-même : « Penser de soi-même, et prendre, s’il se peut, la manière et le tour de ces grands maîtres. »

Dans les lettres comme dans la vie, le premier goût de Vauvenargues est pour l’action ; aussi est-ce l’éloquence qui l’attire d’abord, parce que c’est l’éloquence qui saisit le plus fortement les esprits, et s’empare le plus immédiatement des cœurs. Son principal morceau oratoire, le plus célèbre, c’est l’Éloge funèbre d’Hippolyte de Seytres. Vauvenargues avait pour cet ouvrage une prédilection singulière ; il le retouchait sans cesse, et l’envoyait à ses amis de Provence, à Mirabeau, à Monclar, à Saint-Vincens[1]. C’est qu’il aimait Hippolyte de Seytres comme on aime

  1. Il y avait alors en Provence, la correspondance inédite de Vauvenargues nous l’apprend, un commerce littéraire entre quelques hommes d’esprit et de goût. Vauvenargues leur adressait ses ouvrages. Le Monclar dont il s’agit n’est