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FRAGMENTS.


à leur siecle ; Montaigne a été un prodige dans des temps barbares ; cependant on n’oserait dire qu’il ait évité tous les défauts: de ses contemporains; il en avait lui-meme de considérables qui lui étaient propres, qu’il a défendus avec esprit, mais qu’il n’a pu justifier, parce qu’on ne justifie point de vrais défauts’. Il ne savait ni lier ses pensées, ni donner de justes bornes à ses discours, ni rapprocher utilement les vérités, ni en conclure. Admirable dans les details: incapable de former un tout; savants détruire, faible à établir; prolîxe dans ses citations, dans ses raisonnements, dans ses exemples; fondant sur des faits vagues et incertains des jugements hasardeux; atïaiblissant quelquefois de fortes preuves par de vaines et inutiles conjectures; se penchant souvent du coté de l’erreur pour contre-peser l’opinion; combattant par un doute trop universel la certitude; parlant trop de soi, quoi qu’on en dise, comme il parlait trop d’autres choses; incapable de ces passions altières et véhémentes qui sont presque les seules sources du sublime; choquant, par son indifférence et son indécision, les ames impérieuses et décisives; obscur et fatigant ~en· mille endroits, faute de méthode; en·nn~mot2 malgré tous les charmes de sa naïveté et de ses images; très-faible orateur, parce qu’il ignorait l’art nécessaire d'arranger un discours, de déterminer, de passionner et de conclure ’t " Pascal n’a surpasse Montaigne ni en-naïveté, ni en fécondité, ni en imagination; il l’a surpasse en profondeur, en finesse, en sublimité, en véhémence; il a porté a sa perfection l’éloquence d'art, que Montaigne ignorait entièrement, et n’a point été égalé dans cette vigueur de génie par laquelle on rapproche les objets. et on résume un

1 Var. : la ll a prévenu de la manière du monde la plna.ingénisuss"ls reproche qu’on lui pouvait faire de ses défauts, mais il ne s’est point justifié

2 Var [« En un mot, un grand écrivain, mais un écrivain plein de defauts, qui, possédant plusieurs parties de l’éloquence, n’auralt été capendant qn’nn faible orateur. •]