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DE VAUVENARGUES.


ques par essence, entre autres, sur ce qu’il appelle l’esprit de manège, qui sert à pénétrer et à rester impénétrable[1]. Qu’on ouvre les Maximes ; on voit qu’il a toute une diplomatie à lui, et qu’elle consiste à dérouter, à étourdir les habiles par la franchise même et la droiture. Il professe pour certaine habileté vulgaire le plus souverain mépris ; la feinte n’est pas seulement pour lui le moyen le moins digne, elle est le plus faible ; aussi, ce n’est pas au plus fin qu’il joue, c’est au plus fort, et pour lui la vérité est la force souveraine.

Vauvenargues, pendant près de deux ans, demande inutilement un emploi. Il offrait cependant « de servir dans les pays étrangers sans appointement et sans caractère, jusqu’à ce qu’on l’eût mis à l’épreuve[2]. » Ses. lettres à son colonel, M. de Biron, au Roi et au ministre Amelot, restèrent sans réponse, et, en conscience, on ne saurait s’en étonner : avec sa réserve un peu hautaine, il ne produisait d’autres titres que sa bonne volonté et son courage ; le ministre, il faut bien en convenir, ne pouvait deviner une aptitude discrète à ce point, et si peu probable dans un officier de vingt-huit ans[3]. Vauvenargues se lasse enfin

  1. Voici un portrait qui rend au vif cette préoccupation singulière : « Profond et adroit, Théophile ne parle pas sans dessein, et n’a pas de l’esprit pour ennuyer. Son esprit perçant et actif a tourné son application du côté des grandes affaires et de l’éloquence solide ; il est simple dans ses paroles, mais hardi et fort ; il parle, quelquefois, avec une liberté qui ne peut lui nuire, et qui écarte la défiance de l’esprit d’autrui. Il a l’art d’abréger les négociations les plus difficiles, et son génie flexible se prête a toute sorte de caractères sans quitter le sien ; il est l’ami tendre, le père, le conseil et le confident de ceux qui l’entourent ; on trouve en lui un homme simple, sans ostentation, familier, populaire ; quand on a pu le voir une heure, on croit le connaître ; mais son caractère est de démêler les autres hommes, et de n’en être pas démêlé. »
    N’est-ce pas là le Père de tout à l’heure, avec le diplomate de plus ?
  2. Lettre inédite à M. le duc de Biron, colonel du régiment du Roi.
  3. Vauvenargues le sentait lui-même, car, en adressant copie de ces diverses lettres a son ami Saint-Vincens, il lui mandait : « Vous serez peut-être surpris de l’idée de ces lettres ; j’espérais qu’elles attireraient quelque attention par leur singularité, et que cela me mettrait peut-être un jour à même de me faire connaître. Les choses ont tourné au pis. Je suis touché de tout cela, comme un homme qui a de l’ambition, et qui se voit borné de tous côtés ; mais je ne me reproche rien. J’ai toujours fait ce que j’ai pu pour mériter une fortune moins obscure ; je sais de quel œil on regarde l’ambition d’un homme qui se fonde sur de tels titres ; mais il n’a pas été en moi d’en produire de meilleurs. » (Lettre inédite.)