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ÉLOGE.


travers tout obstacle l’avancement possible, qui aime la guerre pour ce qu’elle rapporte, et place l’héroïsme à intérêts ? Non ; ce que Vauvenargues regarde dans la guerre, c’est moins la mort qu’on y donne, que la mort qu’on y reçoit, ou qu’on y brave ; c’est moins le profit qu’on en tire, que l’emploi des qualités fortes qu’elle exige, la fermeté, la patience, les nuits passées au bord des fleuves glacés, les longues marches avec la faim et la soif pour compagnes, tout ce qui trempe l’âme enfin, tout ce qui l’élève.

Par ces vues à lui sur toutes choses, Vauvenargues est en avant de ses compagnons ; mais ce qui le distingue encore, c’est que, vivant comme eux par l’action, il vit de plus par la pensée. Il vient de les quitter, il rentre sous sa tente, et, cette nuit qu’ils achèvent dans le plaisir ou dans le repos, Vauvenargues l’emploie aux plus nobles occupations de l’esprit. Il écrit un Traite en forme sur le Libre-arbitre ; il regarde en lui et autour de lui, prend note à mesure, et déjà son observation s’affine, et le moraliste se prépare. Cependant, malgré cette vie à part, il ne prend aucun air de hauteur ou de supériorité ; il reste le compagnon, l’ami prêt à tous, et donne le premier l’exemple de cette généreuse expansion du cœur, dont il fera plus tard un des points de sa morale, sous le nom de familiarité. Mais l’amitié, telle qu’il la veut, n’est pas cette stérile camaraderie qui n’est souvent qu’une complicité de plaisir ; c’est cette affection plus mâle aussi bien que plus tendre, où le dernier mot du cœur se dit, mais en même temps où les esprits s’élèvent l’un par l’autre ; c’est l’amitié à la Pélopidas, c’est l’émulation à deux vers le bien ou vers le grand. Ainsi, la maturité de l’esprit s’ajoutait en lui à la jeunesse du cœur, et c’est sans doute à cet heureux mélange qu’il faut attribuer la singulière action que sa parole exerça toujours, même sur des hommes rompus à toutes les séductions du langage, même sur Marmontel, même sur Voltaire. En effet, il aimait à parler, et il était éloquent : Marmontel assure que les écrits de Vauvenargues ne donnent qu’une faible idée de l’éloquence de ses entretiens : « Il tenait, dit-il, nos âmes dans ses mains. » Qu’on se représente, sur ses compagnons, l’effet de cette parole, et l’on s’expliquera un des penchants de Vauvenargues, le penchant à