n’est pas qu'il ait oublié sa première résolution; peut-étre
est-elle encore présente , mais comme un souvenir fâcheux
qui chancelle et s'évanouit; des désirs plus doux la com-
battent; l’objet de ses terreurs est loin, le plaisir est pro-
che et certain; il y touche en mille manières par les sens ou
par la pensée; le parfum d’une fleur que l’on vient de cueillir
` ne pénètre pas aussi vite que les impressions du plaisir; le
goût des mets les plus rares n-'entre pas si avant dans un
·homme affamé, ni celui d’un vin délicieux dans la pensée
d’un ivrogne. Cependant l’expérience mele encore quelque
inquiétude à ces sentiments flatteurs; de secrets retours les
balancent; des volontés commencées tombent et meurent
aussitot; la proximité du plaisir et la prévoynncedes peines
opposent entre eux ces désirs, les éteignent et les raniment;
faites attention à cela. Mais enfin qu’est-ce que la vie, lors- `
· qu' elle est abimée dans la vue de la mort, dans une tristesse ·
sauvage, sans plaisir et sans liberté? Quelle folie de quitter
le présent pour Yavenir, le certain pour l'incertainl Les
voluptés les plus molles trouvent leur contre-poison; le ré-
gime, les remèdes, réparent bientot les forces. Ce n’est
point un mal sans ressource que de céder à l'occasion ;
une seule faiblesse est-elle sans retour? Dorénavant l’on
peut fuir le danger; mais on a tant fait de chemin.., Là-
dessus vient un regard qui donne d’autres pensées; la
crainte et la raison se cachent, le charme présent les dissipe,
et la volonté dominante se consomme dans le plaisir. ~
— Mais si cet homme, direz-vous, voulait retenir ses
idées, sa première résolution ne s'efl'acerait pas ainsi. —
S’il le voulait bien, d’accord; mais je l’ai déjà. dit, et je le
répète encore, cet homme ne peut le vouloir que ses ré-
flexions n’aient la force de créer cette volonté; or, ses sen-
sations plus puissantes exténuent ses réflexions, et ses ré-
flexions exténuées produisent des désirs si faibles, qu’ils
cèdent sans résistance à. l'impression des sens'. .
• Add.: « Nous nous flgurons plnlsamment que lorsque la passion nous
~ porte ll quelque mal, et que la raison nous en détourne, il y a encore en
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SUR LE LIBRE ARBITRE.