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ÉLOGE.


pieuses recherches l’eussent éclairé pour nous d’un jour nouveau, ne laissait voir, même au regard le plus clairvoyant, que quelques traits de sa grande figure, et la discrétion de La Bruyère est telle qu’il a gardé l’incognito, si l’on peut dire ; sa biographie n’existe pas ; les plus patientes études n’ont pu jusqu’à présent la découvrir dans son œuvre, et il faut renoncer peut-être à pénétrer dans l’intimité d’un des grands écrivains de notre langue, que tous voudraient connaître comme tous le lisent, et qui, selon toute apparence, ne saurait rien perdre à être connu. Seul peut-être parmi les moralistes, Montaigne s’est proposé de se peindre ; seul, du moins, il avoue ce propos, et il s’est en effet raconté avec cette complaisance de bonne foi qui fait le charme immortel de son livre. Toutefois, il est, à mon sens, un moraliste qui, sans le déclarer comme Montaigne, se traduit au moins aussi fidèlement dans son œuvre, et ce moraliste, c’est Vauvenargues. Le dirai-je même ? Si la sincérité de Montaigne n’est pas douteuse, celle de Vauvenargues est moins douteuse encore. Peut-être est-il permis de penser que, préoccupé du regard qu’il sollicite, Montaigne a pu, sans le vouloir, arranger un peu son personnage, et composer son maintien ; Vauvenargues, au contraire, ne donne à craindre ni apprêt, ni surprise. Ennemi du moi, comme Pascal, dédaigneux de la vanité, parce que c’est une passion petite et qu’il n’a de goût que pour les grandes, il est d’ailleurs trop jeune, et, sinon trop ignoré de lui-même, du moins trop peu satisfait encore, pour se mettre en scène. Aussi n’est-ce pas lui qui s’annonce ; c’est son âme qui le dénonce ; c’est son âme qui lui échappe et fait irruption dans son livre, pour l’éclairer de soudaines lueurs ; âme discrète, mais ouverte, qui ne s’impose pas au regard, parce qu’elle est simple, mais qui ne le fuit pas, parce qu’elle n’a rien à en redouter. Sur ce point, on mettrait volontiers, entre Montaigne et Vauvenargues, la différence que Vauvenargues met lui-même entre les héros de Corneille et ceux de Racine, et l’on dirait que, si l’un parle afin de se faire connaître, l’autre se fait connaître parce qu’il parle.

Oui, Vauvenargues n’a qu’à parler pour se faire connaître,