regard des sciences : comme elles sont encore fort impar-
faites, si l'ou en croit les maitres, leur progrès ne peut nous
surprendre; quoiqu'il n'y ait peut-étre plus d'hommes en
Europe comme Descartes et Newton, cela xfempeche pas
que l‘e¢iifice ne s’élève sur des fondements déjà posés. Mais
qui peut ignorer que les sciences et la morale n'ont aucun
rapport parmi nous? Et quant à la délicatesse et lt la poli-
tesse que nous croyons porter si loin, j'ose dire que nous
avons changé en artifices cette imitation de la belle nature
qui en était l'objet. Nous abusons de même du raisonne-
xment; en subtilisant sans justesse, nous nous écartons plus
peut-etre de la vérité par le savoir, qu’on ne l'a jamais fait
par Yignorance'. ‘
En un mot, je me borne à dire que la corruption des
principes est cause de celle des mœurs. Pour juger de ce
que j’avance, il sufîit de connaitre lesmaximes qui règnent
auj 0urd’hui dans le grand monde, et qui, de la, se répandent
j usque dans le pedple ,infectent également toutes les con-
ditions; ces maximes qui, nous présentant toutes choses
comme incertaines, nous laissent les maitres absolus de nos
actions; ces maximes qui, anéantissant le mérite de la
vertu, et n’admettant· parmi les hommes que des appa-
rences, égalent le bien et le mal; ces maximes qui, avilis-
Sant la gloire comme la plus insensée des vanites, justi-
Iïent l'intéret et la bassesse, et une brutale indolence. Des
Iarincipes si corrompus entraînent infailliblement la ruine
des plus grands empires. Car, si l’0n y fait attention, qui
peut rendre un peuple puissant, si ce n’cst l’amour de la
gloire? Qui peut le rendre heureux et redoutable, sinon
la vertu? L’esprit, l’intérèt, la finesse, n'ont jamais tenu
lieu de ces nobles motifs. Quel peuple plus ingénieux et
plus rafliné que les Grecs dans l’esclavage, et quel autre
plus malheureux? Quel peuple plus raisonneur et, en un
sens, plus éclairé que les Romains? et dans la décadence
\ Rapprochez du Discours precedent, on la même idee est développée plus
longuement. - G.
l
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SUR LES MŒURS DU SIÈCLE.