Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/215

Cette page n’a pas encore été corrigée
161
DES DIFFÉRENTS SIÈCLES.


n'y a-t-rl pas, encore aujourd'hui, d'autres usages que nous houorons du nom de politesse, qui ne sont que des senti- ments de la nature poussés par réflexion au delà. de leurs homes, contre toutes les lumières de la raison! Qu’on ne m’accuse point ici de cette humeur cbagrine qui fait regretter le passé ', blâmer le présent, et avilir par Wanité la nature humaine. En hlamant les défauts de ce Siècle, je ne prétends pas lui disputer ses vrais avantages, ‘ Var. : · Je ne veux point décrier la politesse et la science plus q¤'il ne • convient; je n'a|outerai qu‘un seul mot : c'est que les deux presents du ciel ' les plus aimables ont précédé I'art; la vertu et le plaisir sont nb avec " Il nature; qu'est-ce que le resteh — · Autre Var. : ~ Je ne produirai ‘ Point icl le témoignage de tant d'historlens qui vantent les mœurs des sau- ‘ voges, leur simplicité, leur sagesse, leur bonheur et leur innocence r les ° lnistoires des peuples barbares me sont également suspectes dans leurs re- " |;sruches et dans leurs éloges, et je ne veux rien établir sur des fondements "‘ si mineur. Isis, i ne consulter que la seule raison, et ce que nous savons " jaar expérience, est-il probable que la condition des hommes ait été si diffé- “ 1-eure que nous le croyons, selon les divers usages et les divers temps'! ' (Quel si prodigieux changement ont apporté les arts a la vie humaine? Qu':. ‘ produit, par exemple, l'srt de se vetirl A-t-il rendu les hommes plus ou ‘ tnoins robustes, plus ou moins sains, plus ou moins beaux, plus ou moins ° <·:hsstes‘l les a-t-il dérobée ou rendus plus sensibles a la rigueur des sai- ‘ sons? Nus, lls ne soullralent pu faute d'hablts; habillés, ils ne soulrent "* jboint de n‘etre pas nus. Ne pourrait-on pas dire A peu pres la meme chose ‘* de tous les arts! lls ne sont ni si pernicieux, ni si utiles que nous voulons ‘ fle] croire. lls exercent l‘sctivité de la nature, qu'on ne peut empecher, ni ' ralentir; mais ils portent l'emp:·einte de leur origine; ils sont un mélange ~ i nevitable de bien et de mal, comme tout ce qui appartient A 1'homme. lls '* tepaœnt par quelques biens les maux qu'ils causent, cela ne se peut con- " tester; mais remédient-ils aux grands vices des choses humaines ‘! Que peut " Inotre imagination pour nous soustraire a nos sujétions naturelles'! Pour " mous dérober au joug des hommes, nous sommes forcés de subir celui des " lois ; pour résister aux passions, il nous faut fléehlr sous la raison, maitresse " amore plus tyrannique; en sorte que notre plus grande indépendance est °‘ une servitude volontaire. Tout ce que nous imaginons pour obvier a nos " maux, ne fait quelquefois que les aggraver : les lois n'ont été établies que " pour prévenir les guerres, et toutes les guerres naissent des lois; les cou- ‘ traits publics et particuliers sont le fondement de tous les proces de citoyen ` 1 citoyen, et de peuple I peuple. Il est vrai que les guerres sont moins ‘ cruelles lorsqu'elles se font selon les lois; mais aussi sont-elles plus longues. ‘ La procès des particuliers durent quelquefois plus que les querelles des ‘ nations. Ainsi, tout ce que les hommes ont pu gagner en voulant éteindre '* les guerres, a été de changer ou les prétextes, ou la manière de les füre. ‘* N'en est·il pas de même de la médecine'! les remedes ne sont-ils pas sou-

  • · vent pires que les maux'! Qu’on examine toutes les inventions des hommes,
  • ·* on verra qu'ils n'ont réussi qu’sux petites choses; la nature s'est réserve

• le secret des grandes, et ne souffre pas que ses lois soient anéanties par ‘ les nôtres. •· 1 l