vu nos petits-maitres et nos philosophes monter sur les
bancs pour voir battre deux polissons; on ne perd pas un
geste d'Arlequin, et Pierrot fait rire ce siècle savant qui
se pique de tant de politesse. Le peuple est né en tout
temps pour admirer les grandes choses, et pour adorer les
jietites; son goût n'a pu suivre les progrès de sa raison,
jiarce qu’on peut emprunter des jugements, non des senti- ·
xnents; de sorte qu’il est rare que le peuple s'élève du coté
du cœur'; et ce peuple dont je veux parler n'est pas celui
qui n'emporte, dans sa définition, que les conditions subal-
ternes ; ce sont tous les esprits que la nature n'a point élevés
par un privilège particulier au-dessus de l'ordre commun.
.Aussi, quand quelqu‘un vient me dire : Croyez-vous que les A
.4 nglais, qui ont tant d’esprit, s'accommodassent des tragé- S
dies de Shakespeare, si elles étaient aussi monstrueuses
qu'elles nous [le] paraissent? je ne suis point la dupe de
cette objection , et je sais ce que j’en dois croire'.
Détrompons-nous donc de cette grande supériorité que
nous nous accordons sur tous les siècles ; défions-nous méme
de cette politesse prétendue de nos usages : il n°y a guère
eu de peuple si barbare qui n’art eu la même prétention. _
(lroyons-nous, par exemple, que nos pères aient regardé le
duel comme une coutume barbare? bien loin de là. Qu'0n
me permette ici de retoucher un sujet sur lequel on a déja
- Add. .· la On me dira peut-etre : Si les hommes ne peuvent pas a'élever
• par le cœur, pourquoi dites-vous que nous valons moins que les Romains _ · - ou que les Grecs 1 Estce parce que nous rr'avons pas même opinion qu'eux · sur la vertu et sur la gloire'! L'opinion peut donc quelque chose sur le cœur'! · — Je ne le nie pas; mais cette opinion qui fait estimer la vertu et la gloire, · e`est la voix même de la nature, qui s'e•t fait entendre avant celle de la ral- ·· son, et a parlé avec force aux premiers hommes, comme L nous. Maia cette ~ lumiere, que nous tenions de la nature meme, le raisonnement, au lieu de · Paugmenter, l'a obscurcie; et tout ce qu’il pourra jamais faire de meilleur, · ce sera de nous la rendre telle qu'e|le a lui L l'œprit des premiers hommes. ·] ' V r. : [¤ Aussi, quand on vient me dire : Pensez-vous que ces Atbéniens, ~ qui avaient tant d'esprit et de politesse, se fussent divertis aux comédies ~ d’Aristophane, ai ellœ n'eussent pas été excellentes, je ne suis point la · dupe de cette objection, quoique j'estime fort Aristophane d'ailleurs. ~] — Add. : • Je sais qu'un siècle poli peut admirer de grandes sottises, surtout V quand elles will accompagnées dc beautés sublimes, qui servent de prétexte • au mauvais goût. » ‘