Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Qu’on ait cru encore dans les siècles d’ignorance l’impossibilité des antipodes, ou telle autre opinion que l’on reçoit sans examen, ou qu’on n’a pas même les moyens d’exa-

    son, d’avoir conçu un pouvoir invisible et hors de l’atteinte des sens ; le premier homme qui s’est fait des dieux avait l’imagination plus grande et plus hardie que ceux qui les ont rejetés. » Autre var. : « Qu’avons nous à reprocher aux siècles qui nous précèdent ? l’extravagance de leurs religions ? Mettons-nous un moment à leur place : aurions-nous deviné la nôtre ? N’a-t-il pas fallu qu’elle nous fût révélée ? Notre esprit était-il capable de produire une religion si divine ? Nous ne les blâmons pas, répondons-nous, de n’avoir pas connu la vraie religion, mais d’en avoir suivi de fausses et de ridicules. Ce reproche est encore injuste ; les hommes sont nés pour croire des dieux, pour attendre ce qu’ils souhaitent, pour craindre ce qu’ils ne connaissent pas, pour sentir le poids de la puissante main qui tient tout l’univers en servitude ; leur esprit curieux et craintif sondait à tâtons dans la nuit le secret redoutable de la nature ; il n’avait pas plu au vrai Dieu de se manifester encore à tous ces peuples. Représentons-nous leur état ; supposons qu’on nous eût appris dans notre enfance que Mercure était un dieu voleur ; que c’était un mystère inconcevable, etc. (Comme dans le texte) Pour moi, je l’avoue à ma honte, l’expérience de ma propre faiblesse m’aurait déterminé à me soumettre à l’erreur d’autrui ; j’aurais cru des dieux ridicules, plutôt que de ne croire point de Dieu. La vérité ne peut-elle nous parler quelque fois par l’imagination ou par le cœur, autant que par la raison ? Auquel faut-il plus se fier de l’esprit ou du sentiment ? Quel nous a donné plus d’erreurs, ou plus découvert de lumières ? Le premier qui s’est fait des dieux avait l’imagination plus grande et plus hardie que ceux qui les ont rejetés. Quelle est l’invention de l’esprit qui égale en sublimité cette inspiration du génie ? »

    Autre Var. : [ « Si j’avais eu le malheur, etc. (comme dans le texte), je sens que j’aurais adopté, sans beaucoup de peine, cette doctrine que j’aurais trouvé dans mon cœur avant de me connaître, et que si j’y avais résisté par raisonnement, j’y aurais été ramené par sentiment. Mais si, dans des choses toutes naturelles, quelque philosophe se fût avisé de me dire, par exemple, que le courage ne valait pas mieux que la peur, et que la magnanimité n’était pas quelque chose de réel ; je lui aurais répondu sans hésiter : Mon ami, je puis déférer à l’autorité de tout un peuple, à celle de plusieurs siècles, et de plusieurs grands hommes qui, dans une matière qui me dépasse, me proposent une croyance incompréhensible, qui a été la leur ; mais, puisque vous me parlez d’une chose naturelle et qui m’est familière, que je ne risque rien à rejeter, et sur laquelle personne ne peut m’imposer, souffrez que je me moque de votre doctrine. Voilà ce que je répondrais à ce philosophe ; or, combien y en a-t-il dans ce siècle, qui, sur des choses encore palpables, soutiennent des erreurs plus manifestes ? » ] — Nous trouvons cette 3e variante dans les manuscrits du Louvre, où elle fait partie d’une longue préface de Vauvenargues à ses Caractères. Il ne paraît pas qu’il eut d’idée bien arrêtée sur la destination à donner à cette pièce, puisque, tantôt, il la fait entrer à peu près entière dans une préface, et tantôt il en fait un discours à part. — G.

    Il est clair que Vauvenargues sent ici qu’il touche là au point difficile de son sujet, car il y revient à quatre reprises ; il n’est pas moins clair que dans ces quatre versions, il est également rationaliste. Il dira bien, deux pages plus