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DISCOURS
SUR
LE CARACTÈRE DES DIFFÉRENTS SIÈCLES[1]


Quelque limitées que soient nos lumières sur les sciences, je crois qu’on ne saurait nous disputer de les avoir poussées au delà des bornes anciennes. Héritiers des siècles qui nous précèdent, nous devons être plus riches des biens de l’esprit ; cela ne peut guère nous être contesté sans injustice ; mais nous aurions tort nous-mêmes de confondre cette richesse empruntée avec le génie qui la donne. Combien de ces connaissances que nous prisons tant, sont stériles pour nous ! Étrangères dans notre esprit où elles n’ont pas pris naissance, il arrive souvent qu’elles confondent notre jugement beaucoup plus qu’elles ne l’éclairent[2]. Nous plions sous le poids de tant d’idées, comme ces États qui succombent par trop de conquêtes, où la prospérité et les richesses corrompent les mœurs, et où la Vertu s’ensevelit sous sa propre gloire.

  1. On sait avec quel soin Vauvenargues travaillait ses ouvrages. Dans ses manuscrits, tel morceau est remanié jusqu’à huit ou dix fois, et c’est ainsi que, dans les éditions de ses œuvres, le sujet traité dans ce discours se trouve sous trois titres à des endroits divers. Cependant, comme les trois versions diffèrent peu entre elles, nous donnons celle qui semble définitive, et ne tirons des deux autres que les passages, assez peu nombreux d’ailleurs, qui, n’étant pas de simples répétitions faisant double emploi, ajoutent à l’idée de l’auteur, ou la présentent sous une autre forme. On les trouvera ci-après en notes, sous le titre d’additions ou de variantes, selon leur nature. Nous ajoutons enfin à ce Discours les passages inédits que donnent les manuscrits du Louvre. De cette façon, le lecteur pourra saisir en une fois toute la pensée de Vauvenargues, et elle en sera plus claire, en même temps que plus complète. — G.
  2. Add. : « En quelque genre que ce puisse être, l’opulence apporte toujours plus d’erreurs que la pauvreté. »