148 moon vivant, je te pleure au tombeau ; ta vie oomblait mes vœux, et ta perte m’acca.ble. Mon deuil et mes regrets peuvent-ils avoir des limites, lorsque ton malheur n’en a point? Va, je porte au fond de mon cœur une loi plus juste et plus tendre : ta vertu méritait un attachement éternel , je lui dois d’éter- nelles larmes, et j'en verserai des torrents. Homme insuliisaut a toi-méme, créature vide et inquiète, tu t’attaches, tu te détaches , tu t'afiliges, tu te consoles; ta faiblesse partout éclate. Mais connais du moins ce prin- cipe : qui s’est consolé, n’aime plus; et qui n’aime plus, tu le sais, est léger, ingrat, infidèle , et d’une imagination faible, qui périt avec son objet. On dit : dans la mort, nul remède; conclus :. nulle consolation à qui aime au dela de la mort. Suppose un moment en toi-méme : ce que j’ai de plus cher au monde est dans un péril imminent; une longue absence le cache; je ne puis ni le secourir, ni le joindre; et je me console, et je m’abandonne au plaisir avec une , barbare ardeur! Faible image, vaine expression! nul péril n'égale la mort, nulle absence ne la figure. 0 cœurs durs! vous ne sentez pas la force de ces vérités; les charmes d’une amitié pure ne vous touchent que faiblement; vous n’aimez, vous ne regardez que les choses qui ont de 1'éclat. Pourquoi donc, mon cher Hippolyte, n'admiraient—ils pas ` ta vertu dans un age encore si tendre? Que peuvent-ils voir de plus rare? Ils veulent des actions brillantes qui puissent forcer leur estime : ehl n'avais-tu pas le génie qui enfants ces nobles actions? Mon enfant, ta grande jeunesse leur cachait des dons si précoces; leurs sens n'allaient pas jusqu’a toi. La raison et le cœur de la plupart des hommes se lbrment tard; ils ne peuvent, parmi les grâces d’une si riante jeunesse, admettre un sérieux si profond; ils croient œt accord impossible. Ainsi ils ne t'0ut point rendu justice; ils ne peuvent plus fe la rendre. Moi-méme , pardonne, ombre aimable , tes vertus et tes agréments peut—étre ne m’ont pas trouvé toujours équitable et sensible; pardonne un excès d’amitié qui mèlait à mes sentiments des délica-
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