iusque dans la guerre, ton esprit ne perdait jamais sa dou-
ceur et son agrément. Tu le sais, province éloignée, Mo-
ravie, théatre funeste de nos marches laborieuses; tu sais
avec quelle patience il portait ces courses mortelles; son
visage toujours serein efïaçait l’éclat de tes neiges, et ré-
iouissait tes cabanes. Oh ! puissions-nous toujours sous tes
rustiques toits!... Mais le repos succède a nos longues fati-
gues; Prague nous reçoit; ses remparts semblent assurer
notre vie comme notre tranquillité. 0 cher Hippolyte! la
mort t’avait préparé cette embûche; a l'instant elle se dé-
clare, tu péris; la fleur de tes jours sèche comme l’l1erbe
des champs; je veux te parler, je rencontre tes regards
rnourants qui me troublent; je bégaie, et force ma langue;
tu ne m’entends plus; tme voix plus puissante et plus im-
portune parle à ton oreille effrayée. Le temps presse, la
mort t’appelle, la mort te demande et t’attire : Hate-toi,
dit·elle, hâte-toi; ta jeunesse m'irrite et ta beauté me
blesse; ne fais point de vœux inutiles; je me ris des larmes
des faibles, et j’ai soif du sang innocent; tombe, passe,
exhale ta vie! — Quoi, sitôt! Quoi, dans ses beaux jours
et dans la primeur de son age! Dieu vivant, vous le livrez
donc à l’afl`reuse main qui l'opprime; vous le délaisse: sans
pitié! Tant de dons et tant d'agréments qui environnaient
sa jeunesse, ce mortel abandon... 0 voile fatal! Dieu ter-
rible! véritablement tu te plais dans un redoutable secret.
Qui l’eût cru, mon cher Hippolyte, qui l'eüt cru? Le ciel
semblait prendre un soin patemel de tes jours; et soudain
le ciel te condamne, et tu meurs sans qu`aucun effort te
puisse arréter dans ta chute ; tu meurs. .. 0 rigueur lamen-
table! Hippolyte... cher Hippolyte, est-ce toi que je vois
dans ces tristes débris?... Restes mutilés de la mort, quel
spectacle affreux vous m'o!frez!... Où fuirai-je? Je vois
partout des lambeaux flétris et sanglants, un tombeau qui
marche à mes yeux, des flambeaux et des funérailles.!
Cesse de m'efl`rayer de ces noires images, chère ombre, je
n’ai pas trahi la foi que je dois à ta cendre; je t'aimais
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DE P.-H.-E. DE SEYTRES