Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/198

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tu atout: chose de vif et·de fier. Du reste, il avait un instinct secret et admirable pour juger sainement des choses, et saisir le vrai dans l'instant : on aurait dit que, dans toutes ses vues, il ne passait jamais par les degrés et par les conséquences qui amusent le reste des hommes; mais que la verité, sans cette gradation, se faisait sentir tout entière, et d’une ma- nière immédiate, a son cœur et à son esprit; de sorte que la justesse de ce sentiment, dans laquelle il s'arrètait, le faisait quelquefois paraitre trop froid pour le 1·aisonnement, où il ne trouvait pas toujours l’évidence de son instinct. ' Mais cela, bien loin de marquer quelque défaut de raison, prouvait sa sagacité. Il ne pouvait s'assujettir à expliquer par des paroles et par des retours fatigants, ce qu’il conce- vait d'un coup d'œil. Enfin, pour finir ce discours par les qualités de son cœur, il était vrai, généreux, pitoyable, et capable dela plus sûre et dela plus tendre amitié; d'un si beau naturel d'ailleurs, qu’il n’avait jamais rien a cacher a personne, ne connaissant aucune de ces petitesses, haines, jalousies, vauités, que l'on dérobe au monde avec tant de mystère, et qu’on verse au sein d'un ami avec tant de sou- · lagement. Iusensible au plaisir de parler de soi-mème, qui est le nœud des amitiés faibles; élevé, confiant, ingénu, propre à détromper les gens vains, chargés du secret acca- blant de leurs faiblesses, en leur faisant sentir le prix d'uue naïveté modeste; en un mot, né pour la vertu et pour faire aimer sur la terre cette haute modération qu’on n’a pas en- core définie, qui n’est ni paresse, ni flegme, ni médiocrité de génie, ni froideur de tempérament, ni effort de raison- nement, mais un instinct supérieur aux chimères qui tien- nent le monde enchanté; on ne verra jamais dans le méme sujet tant de qualités réunies. Oh l que cette idée est cruelle, après une mort si soudaine! Ahl du moins, s’il avait connu toute mon amitié pour lui, si je pouvais en- core lui parler un moment, s'il pouvait voir couler ces lar- mes l... Mais il n’entendra plus ma voix; la mort a fermé son oreille, ses yeux ne s’ouvriront plus; il n’est plus. 0