Votre erreur en tout sens est grande : plus vous serez dans
votre lit, moins vous dormirez; le repos, la paix, le plaisir,
ne sont que le prix du travail. ‘
Vous avez une erreur plus douce, mon aimable ami; ose-
rai-je aussi la combattre 7 La nature semble vous avoir fait
pourles plaisirs autant que pour la gloire; vous les inspirez ;
ils vous touchent; vous portez leurs fers. Comment vous
épargneraientrils dans une si vive jeunesse, s’ils tentent
même la raison et l’expérience de l’à.ge avancé? Mais les
goûtez-vous sans défiance ou sans ennui? Mon charmant
ami, je vous plains : quoique votre vie soit a peine encore
dans sa fleur, vous savez tout ce qu’ils promettent et le peu
qu'i]s tiennent toujours. Pour moi, il ne m’appartient pas
de vous faire aucune leçon; mais vous n’ignorez pas _quel
dégoût suit la volupté la plus chère, quelle nonchalance elle
inspire, quel oubli profond des devoirs, quels frivoles soins,
quelles craintes, quelles distractions insensées. Elle éteint
la mémoire dans. les savants, dessèche l‘esprît, ride la jeu-
messe, avance la mort; les tluxions, les vapeurs, la goutte,
presque toutes les maladies qui tourmentent les hommes ·
en tant de manières , qui les arrêtent dans leurs espérances,
trompent leurs projets, et leur apportent dans la force de
leur age les intirmités de la vieillesse, voila les etïets des
plaisirs'. Et vous renonceriez, mon cher ami, à toutes les
vertus qui vous attendent, à votre fortune, ala gloire? Non,
sans doute, la volupté ne prendra jamais cet empire sur
une ame comme la votre, quoique vous lui prètiez vous-
meme de si fortes armes. j ‘
Mais quel autre attrait, quelle crainte pourrait vous dé-
tourner de satisfaire à vos sages inclinations? Seraient-ce
les bizarres préjugés de quelques fous qui mème ne sont
pas sincères, et voudraient vous donner leurs ridicules, eux
qui se piquent d'avoir la peau douce, et de donner le ton
à quelques femmes? S'ils sont effacés dans un souper, ils
se couchent avec un mortel chagrin; et vous n'oseriez a
¤ Voir, un peu plus loin, le Discours sur les Plaisirs. — G.
Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/185
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DISCOURS SUR LA GLOIRE.