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A UN JEUNE HOMME.


Conservez toujours néanmoins avec tout le monde la douceur de vos sentiments. Faites·vous une étude de la patience, et sachez céder par raison, comme on cède aux enfants qui n’en sont pas capables, et ne peuvent vous of- fenser ; abandonnez surtout aux hommes vains cet empire extérieur et ridicule qu’ils affectent : il n’y a de supériorité réelle que œlle de la vertu et du génie. Voyez des memes yeux, s’i1 est possible, l'injustice de vos amis; soit qu’ils se familiarisent par une longue habi- tude avec vos avantages, soit que par une secrète jalousie ils cessent de les reconnaitre, ils ne peuvent vous les faire perdre. Soyez donc froid là~dessus; un favori admis ala ` familiarité de son maître, un domestique, aiment mieux dans la suite se faire chasser que de vivre dans la modestie de leur condition. C'est ainsi que sont faits les hommes: vos amis croiront s'ètre acquis par la connaissance de vos défauts une sorte de supériorité sur vous ; les hommes se croient supérieurs aux défauts qu’ils peuvent sentir; clest ce qui fait'qu’on juge dans le monde si sévèrement des notions, des discours et des écrits d’autrui. Mais pardonnez- 1eurjusqu’à. cette connaissance de vos défauts, et [jusqu'] aux avantages frivoles qu’ils essaieront d’en tirer; ne leur de- rnandez pas la meme perfection qu’ils semblent exiger de vous. Il y a des hommes qui ont de l’esprit et un bon cœur, mais remplis de délicatesses fatigantes; ils sont pointilleux, difficiles, attentifs, défiants, jaloux; ils se fàchent de peu de chose, et auraient honte de revenir les premiers; tout ce qu’ils mettent dans la société, ils craignent qu’on ne pense qu’ils le doivent. N'ayez pas la faiblesse de renoncer à leur amitié par vanité ou par impatience, lorsqu’elle peut en- core vous étre utile ou agréable; et enfin, quand vous vou- drez rompre, faites qu’ils croient eux-memes vous avoir quitté. Au reste, s'ils sont dans le secret de vos affaires ou de vos faiblesses, n’en ayez jamais de regret. Ce que l’on ne confie que par vanité et sans dessein donne un cruel re- _