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REFLEXIONS


que tous les phénomènes de la nature ; et les anciens, en admettant plusieurs causes occultes, n’expliquaient pas la moindre partie de ces phénomènes. La cause occulte de M. Newton est celle qui produit la pesanteur et l’attraction mutuelle des corps ; mais il n’est pas impossible peut-être que cette pesanteur et cette attraction ne soient à elles-mêmes leur propre cause, car il n’est pas nécessaire qu’une qualité que nous apercevons dans un sujet y soit produite par une cause ; elle peut exister par elle-même[1]. On ne demande pas pourquoi la matière est étendue : c’est là sa manière d’exister ; elle ne peut être autrement. Ne se peut-il pas faire que la pesanteur lui soit aussi essentielle que l’étendue ? Pourquoi non ? Il n’est aucune portion de ma­tière qui ne soit étendue : l’étendue est donc essentielle a la matière. Mais s’il n’y a aucune portion de matière qui ne soit pesante, ne faudrait-il pas ajouter la pesanteur à l’essence de la matière ? Si le mouvement n’est autre chose que la pesanteur des corps, nous voilà bien avancés dans le secret de la nature.

Toutes nos démonstrations ne tendent qu’à nous faire connaître les choses avec la même évidence que nous les connaissons par sentiment. Connaître par sentiment est donc le plus haut degré de connaissance[2]; il ne faut donc pas demander une raison de ce que nous connaissons par sentiment.

55. — [sur l’étude des sciences.]

[S’il y a des sciences qui ne satisfassent qu’une vaine curiosité, qui ne rendent les hommes ni plus vertueux, ni plus aimables, qui n’aient presque point de rapports avec nos intérêts et nos devoirs, ce sont les dernières qu’il faut

  1. Cette conclusion de Vauvenargues est au moins contestable, mais la dis­cussion nous mènerait trop loin ; notons seulement que Newton était, sur ce point, d’un autre sentiment que Vauvenargues : quand on l’interrogeait sur cette cause occulte qui produit la pesanteur et l’attraction, ce grand homme répondait en montrant le ciel, et en se découvrant la tête. — G.
  2. Nouvelle preuve de la foi de Vauvenargues au sentiment, même dans les matières scientifiques. — G.