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102 REFLEXION S protester contre les jugements de leur siecle, et à attendre follement de la postérité l'estime refusée a leurs ouvrages. C’est cette même incapacité des lecteurs, c'est leur mauvais goût, leur avidité pour les bagatelles, qui enhardissent et multiplient jusqu’à. l’excès les livres fades et les niaiseries ‘ littéraires. Si l’art de penser et d’écrire n'est plus qu'un métier mécanique, comme Yarpentage, ou Porfévrerie; si on n’y est plus engagé par le seul instinct du génie, mais par désœuvrement ou par intéret; s'il y a sans comparaison plus de mauvais ouvriers dans cette profession que dans les autres, il faut s’en prendre a ceux qui soutiennent ces fai- bles artisans et leurs faibles ouvrages, en les lisant. Ce- pendant, de méme que le grand nombre des arts inutiles prouve et entretient la richesse des États puissants, peut- étre aussi que cette foule d'auteurs et d’ouvrages frivoles, qui entretiennent le luxe et la paresse de l’esprit, prouvent, à tout prendre, qu'il y a aujourd’hui plus de lumières, plus‘de curiosité et plus d’esprit qu'autrefois parmi les hommes'.] ' A5. - [sun us unavamaox.] [Les hommes aiment le merveilleux, non pas parce qu'il est faux, mais parce qu’ils aiment ce qui les surprend. Du reste, ils ne l’aiment qu'autant qu'ils le croient, et ils ne le croient qu’autant qu'il est revètu des dehors du vrai, ou qu'il leur parait tel. Moins les hommes sont éclairés, plus il est facile de leur en imposer par des fables, c'est—à·dire de les leur faire recevoir pour des vérités; car quand ils savent que ce sont des mensonges, tout au plus ils s’en amusent, mais ils ne s'y intéressent pas. ll ne faut donc pas dire que le vrai a besoin d‘emprunler la fgurc du faux pour

  • On remarquera dans ce morceau, ainsi que dans la plupart des Béüexions

de Vauvenargues, le soin qu'il prend de chercher lp justification, ou, au moins, la raison des faux usages ou des fausses idées qu'il constate. C'eat qu’en etïet sa méthode c’est la conciliation, ou, comme il le dit souvent lul- meme, le rapprochement des contrariété: apparentes, pour en former un système raisonnable. — G.