guerres qu’ils ont faites ensemble, les livres qu’ils ont lus,
les conversations qu'ils ont eues en de certains temps; et
ils ne s’écoutent point les uns les autres, car ils savent d'a·
vance ce qu‘on leur veut dire. Mais ils souffrent qu’on leur
apprenne des choses qu'ils savent, afin d'avoir droit, a leur
tour, de débiter de semblables puérilités, et, 1orsqu‘ils ont
épuisé un certain cercle de faits et de réflexions, ils repren-
nent les memes discours, et ne se lassent point de se répé-
ter. Detelles conversations rendent l’esprit paresseux, pe- -
sant, et l’endorment en quelque sorte dans Poisivete. Les
gens du monde ne tombent point dans ces longueurs, dans
ces détails et dans ces récits inutiles; ils ne se permettent
guère de parler des choses passées; mais ils s’occupent
trop du présent, et traitent tous les sujets d’une manière ‘
trop superficielle et trop frivole; ils ne vont jamais jus-
qu’au nœud des choses, et n'intéressent que la surface de
l'esprit, sans aller au cœur : ce qui fait q·u'il y a peu de
conversations profitables, et qui mènent à une fin. Aussi la
plupart des hommes ne se doutent-ils pas que la conversa-
tion puisse étre regardée d’une autre manière que comme
tm amusement et un délassement. Ceux qui en font une
sorte de commerce et mme négociation perpétuelle, sont très-
rares; mais, comme ils y apportent beaucoup plus de fond
que les autres, ils en retirent aussi un plus grand profit.
De mème, il y a peu d'actions qui mènent à une fin utile.
Je vois tous les ans des officiers qui se dérangent pour plu-
sieurs années, afin de pouvoir se vanter qu'ils ont vu le
monde; ils quittent leur femme et leurs enfants pour venir
consommer a Paris, en peu de mois, le revenu de plusieurs
années, et s'ensevelir ensuite dans leur province. D’autres .
se ruinent au jeu ou dans un des quartiers de la ville, sans
_ pouvoir réussir à faire percer leur nom jusqu'a la bonne
compagnie, et ils ne sont connus que des marchands et des
ouvriers. On en voit qui se tourmentent toute leur vie pour
faire leur cour à. leur évêque, à Pintendant de leur province,
au commandant, aux magistrats, et aux grands qui pas-
I
I
Page:Œuvres de Vauvenargues (1857).djvu/153
Cette page n’a pas encore été corrigée
99
SUR DIVERS SUJETS.