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SUR DIVERS SUJETS.


39. — [SUR LA COMPASSION.]

[Les âmes les plus généreuses et les plus tendres se laissent quelquefois porter par la contrainte des événements jusqu’à la dureté et à l’injustice ; mais il faut peu de chose pour les ramener à leur caractere, et les faire rentrer dans leurs vertus. La vue d’un animal malade, le gémissement d’un cerf poursuivi dans les bois par des chasseurs, l’aspect d’un arbre penché vers la terre et tralnant ses rameaux dans la poussière, les ruines méprisées d’un vieux bâtiment, la pâleur d’une fleur qui tombe et qui se flétrit, enfin toutes les images du malheur des hommes réveillent la pitié d’une âme tendre, contristent le cœur, et plongent l’esprit dans une rêverie attendrissante. L’homme du monde même le plus ambitieux, s’il est né humain et compatissant, ne voit pas sans douleur le mal que les dieux lui épargnent ; fût-il même peu content de sa fortune, il ne croit pourtant pas la mériter encore, quand il voit des misères plus touchantes que la sienne ; comme si c’était sa faute qu’il y eût d’autres hommes moins heureux que lui, sa générosité l’accuse en secret de toutes les calamités du genre humain, et le sentiment de ses propres maux ne fait qu’aggraver la pitié dont les maux d’autrui le pénètrent’.]


40. — [SUR LES MISÈRES CACHÉES.]


[La terre est couverte d’esprits inquiets que la rigueur de leur condition et le désir de changer leur fortune tourmentent inexorablement jusqu’à la mort. Le tumulte du monde empèche qu’on ne rélléchisse sur ces tentations secrètes qui font franchir aux hommes les barrières de la vertu. Pour moi, je n’entre jamais au Luxembourg, ou dans les autres jardins publics, que je n’y sois environné de toutes les misères sourdes qui accablent les hommes, et

  • La Bruyère avait dit de meme (de l'homme, n¤ 79) : « Les gens déja chargés de leur propre misère sont ceux qui entrent davantage, par la compassion, dans celle d’autrui. - G.