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SUR DIVERS SUJETS.

est-on pas porté envers les autres ? De là vient que les malheureux ont toujours tort, et que l’on n’appelle point de leur malheur. Ce que je ne dis point pour détourner les hommes de travailler à leur bonheur, mais pour les consoler de leurs disgraces.

28. — La nécessité console dans le malheur.

Quelque parti qu’on puisse prendre dans la vie, il faut s’attendre à être souvent déçu. Les événements nous trompent aussi souvent que nos passions, et il y a si peu de choses qui dépendent de nous, que ce serait une merveille si la plupart des événements n’étaient contre nous. Nous voudrions prendre un parti sûr, et il n’en est aucun de tel, pas même l’oisiveté ; car qui nous répond que la fortune respectera notre repos, et ne nous engagera pas malgré nous dans les embarras des affaires ? Sans doute, si la grandeur et la gloire étaient des biens qu’on pût acquérir par sa conduite, on serait inconsolable de les avoir manquées ; mais quand on a connu par expérience ce que peut la fortune sur la vie des hommes, on s’afflige moins dans l’adversité ; on ne se reproche point un malheur inévitable, une destinée injuste et cruelle à laquelle on n’a pu échapper[1].]

29. — Sur les hasards de la fortune.

Pendant que des hommes de génie, épuisant leur santé et leur jeunesse pour élever leur fortune, languissent dans la

  1. On voit dans ce morceau, aussi bien que dans ceux qui précèdent et ceux qui suivent, les douloureuses alternatives de la pensée de Vauvenargues. Partagé entre le regret de sa vie manquée et le désir de ne pas se désavouer, il semble surtout préoccupé de se justifier à ses propres yeux de l'inutilité de ses efforts et de ses espérances, en la mettant au compte de la fortune. Dans se naufrage de sa vie, il veut du moins sauver sa foi en lui-même, et donner jusqu‘au bout raison à sa chère maxime : « Le désespoir est la plus grande de nos erreurs. » — Qu’on lise après cela le Caractère intitulé Cléon ou la Folle ambition ; qu’on remarque ce passage entr‘autres : « Il avait cette fierté tendre d’une âme timide, qui ne veut avouer ni sa défaite, ni ses espérances, ni la vanité de ses vœux » ; on s’assurera une fois de plus que les pages de Vauvenargues s'éclairent les unes par les autres, et que son livre, ainsi que nous l'avons dit, n'est presque d’un bout à l'autre que le testament d'une âme qui s'interroge et nous rend compte d’elle-même. — G.