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parfaits ? Quoi ! parce que la vie et la mort sont en nous des états de nécessité, n’est-ce plus qu’une même chose, indifférente aux humains ? Mais peut-être que les vertus, que j’ai peintes comme un sacrifice de notre intérêt propre à l’intérêt public, ne sont qu’un pur effet de l’amour de nous-mêmes. Peut-être ne faisons-nous le bien que parce que notre plaisir se trouve dans ce sacrifice ? Étrange objection ! Parce que je me plais dans l’usage de ma vertu, en est-elle moins profitable, moins précieuse à tout l’univers, ou moins différente du vice, qui est la ruine du genre humain ? Le bien où je me plais change-t-il de nature ? cesse-t-il d’être bien ?

Les oracles de la piété, continuent nos adversaires, condamnent cette complaisance. Est-ce à ceux qui nient la vertu à la combattre par la religion, qui l’établit ? Qu’ils sachent qu’un Dieu bon et juste ne peut réprouver le plaisir que lui-même attache à bien faire[1]. Nous prohiberait-il ce charme qui accompagne l’amour du bien ? Lui-même nous ordonne d’aimer la vertu, et sait mieux que nous qu’il est contradictoire d’aimer une chose sans s’y plaire. S’il rejette donc nos vertus, c’est quand nous nous approprions les dons que sa main nous dispense, que nous arrêtons nos pensées à la possession de ses grâces, sans aller jusqu’à leur principe ; que nous méconnaissons le bras qui répand sur nous ses bienfaits, etc.

Une vérité s’offre à moi. Ceux qui nient la réalité des vertus sont forcés d’admettre des vices. Oseraient-ils dire que l’homme n’est pas insensé et méchant ? Toutefois s’il n’y avait que des malades, saurions-nous ce que c’est que la santé[2] ?

44. — De la grandeur d’âme.

Après ce que nous avons dit, je crois qu’il n’est pas nécessaire de prouver que la grandeur d’âme est quelque

  1. [Admirable ! — V.]
  2. Voyez plus loin le développement des mêmes idées, A la fin du Discours sur le Caractère du différents siècles. — G.