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DE L’ESPRIT HUMAIN.

sonne non plus qui ne préfère la vérité à l’erreur, personne qui ne sente bien que le courage est différent de la crainte, et l’envie de la bonté. On ne voit pas moins clairement que l’humanité vaut mieux que l’inhumanité, qu’elle est plus aimable, plus utile, et par conséquent plus estimable ; et cependant… ô faiblesse de l’esprit humain ! il n’y a point de contradiction dont les hommes ne soient capables, dès qu’ils veulent approfondir.

N’est-ce pas le comble de l’extravagance, qu’on puisse réduire en question si le courage vaut mieux que la peur ? On convient qu’il nous donne sur les hommes et sur nous-mêmes un empire naturel. On ne nie pas non plus que la puissance enferme une idée de grandeur, et qu’elle soit utile. On sait encore que la peur est un témoignage de faiblesse ; et on convient que la faiblesse est très nuisible, qu’elle jette les hommes dans la dépendance, et qu’elle prouve ainsi leur petitesse. Comment peut-il donc se trouver des esprits assez déréglés pour mettre de l’égalité dans des choses si inégales ?

Qu’entend-on par un grand génie ? un esprit qui a de grandes vues, puissant, fécond, éloquent, etc. Et par une grande fortune ? un état indépendant, commode, élevé, glorieux. Personne ne dispute donc qu’il y ait de grands génies et de grandes fortunes. Les caractères de ces avantages sont trop bien marqués. Ceux d’une âme vertueuse sont-ils moins sensibles ? Qui peut nous les faire confondre ? Sur quel fondement ose-t-on égaler le bien et le mal ? Est-ce sur ce que l’on suppose que nos vices et nos vertus sont des effets nécessaires de notre tempérament ? Mais les maladies, la santé, ne sont-elles pas des effets nécessaires de la même cause ? Les confond-on cependant, et a-t-on jamais dit que c’étaient des chimères, qu’il n’y avait ni santé ni maladies ? Pense-t-on que tout ce qui est nécessaire n’est d’aucun mérite ? Mais c’est une nécessité en

Dieu d’être tout-puissant, éternel : la puissance et l’éternité seront-elles égales au néant ? ne seront-elles plus des attributs