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DE L’ESPRIT HUMAIN.

assez puissants pour donner un frein à la cupidité des hommes, il a fallu encore qu’ils convinssent de certaines règles pour le bien public, fondé, à la honte du genre humain, sur la crainte odieuse des supplices ; et c’est l’origine des lois.

Nous naissons, nous croissons à l’ombre de ces conventions solennelles ; nous leur devons la sûreté de notre vie et la tranquillité qui l’accompagne. Les lois sont aussi le seul titre de nos possessions dès l’aurore de notre vie, nous en recueillons les doux fruits et nous nous engageons toujours à elles par des liens plus forts. Quiconque prétend se soustraire à cette autorité dont il tient tout, ne peut trouver injuste qu’elle lui ravisse tout, jusqu’à la vie. Où serait la raison qu’un particulier ose[1] en sacrifier tant d’autres à soi seul, et que la société ne pût, par sa ruine, racheter le repos public ? C’est un vain prétexte de dire qu’on ne se doit pas à des lois qui favorisent l’inégalité des fortunes. Peuvent-elles égaler[2] les hommes, l’industrie, l’esprit, les talents ? Peuvent-elles empêcher les dépositaires de l’autorité d’en user selon leur faiblesse ? Dans cette impuissance absolue d’empêcher l’inégalité des conditions, elles fixent les droits de chacune, elles les protègent. On suppose d’ailleurs, avec quelque raison, que le cœur des hommes se forme sur leur condition. Le laboureur a souvent dans le travail de ses mains la paix et la satiété qui fuient l’orgueil des grands[3]. Ceux-ci n’ont pas moins de désirs que les hommes les plus abjects ; ils ont donc autant de besoins ; voilà dans l’inégalité une sorte d’égalité[4]. Ainsi on suppose aujourd’hui toutes les conditions égales ou nécessairement inégales. Dans l’une et l’autre supposition, l’équité consiste à maintenir invariablement

  1. Il faudrait osdt ; plus loin, par sa ruine est équivoque et veut dire la ruine de ce particulier. — M.
  2. Au lieu d’égaliser. Cette incorrection reviendra souvent. — G.
  3. [On pourrait dire tout cla bien mieux. — V.]
  4. Voyez plus loin le développement de ees Idées dans le Discours sur l’inégalité des richesses. — G.