LIVRE TROISIÈME
43. — Du bien et du mal moral.
Ce qui n’est bien ou mal qu’à un particulier[1], et qui peut être le contraire à l’égard du reste des hommes, ne peut être regardé en général comme un mal ou comme un bien[2].
Afin qu’une chose soit regardée comme un bien par toute la société, il faut qu’elle tende à l’avantage de toute la société ; et afin qu’on la regarde comme un mal, il faut qu’elle tende à sa ruine : voilà le grand caractère du bien et du mal moral.
Les hommes, étant imparfaits, n’ont pu se suffire à eux-mêmes : de là la nécessité de former des sociétés. Qui dit société dit un corps qui subsiste par l’union de divers membres et confond l’intérêt particulier dans l’intérêt général ; c’est là le fondement de toute la morale.
Mais parce que le bien commun exige de grands sacrifices, et qu’il ne peut se répandre également sur tous les hommes, la religion, qui répare le vice des choses humaines, assure des indemnités dignes d’envie à ceux qui nous semblent lésés.
Et toutefois ces motifs respectables n’étant pas
- ↑ Au lieu de pour un particulier. — S.
- ↑ Oui ; mais si toute la société avait le fièvre ou la goutte, ou était manchotte ou folle ? — V. — Il faut avouer que l’objection de Voltaire est puérile et porte à faux ; il est assez clair, comme l’indique le titre même du chapitre, que Vauvenargues traite ici, non du bien et du mal physique, mais du bien et du mal moral. — G.