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Dans l’ombre, un rayon fauve indique
Un monstre, guivre, aigle à deux cous,
Pris au bestiaire héraldique
Sur les cimiers faussés de coups.

Du mufle des bêtes difformes
Dressant leurs ongles arrogants,
Partent des panaches énormes,
Des lambrequins extravagants ;

Mais les casques ouverts sont vides
Comme les timbres du blason ;
Seulement deux flammes livides
Y luisent d’étrange façon.

Toute la ferraille est assise
Dans la salle du vieux manoir,
Et, sur le mur, l’ombre indécise
Donne à chaque hôte un page noir.

Les liqueurs aux feux des bougies
Ont des pourpres d’un ton suspect ;
Les mets dans leurs sauces rougies
Prennent un singulier aspect.

Parfois un corselet miroite,
Un morion brille un moment ;
Une pièce qui se déboîte
Choit sur la nappe lourdement.

L’on entend les battements d’ailes
D’invisibles chauves-souris,
Et les drapeaux des infidèles
Palpitent le long du lambris.