Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 3, Lemerre, 1890.djvu/71

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D’un long corridor en décombres,
Par la lune bizarrement
Entrecoupé de clairs et d’ombres,
Débusque un fantôme charmant ;

Peigne au chignon, basquine aux hanches,
Une femme accourt en dansant,
Dans les bandes noires et blanches
Apparaissant, disparaissant.

Avec une volupté morte,
Cambrant les reins, penchant le cou,
Elle s’arrête sur la porte,
Sinistre et belle à rendre fou.

Sa robe, passée et fripée
Au froid humide des tombeaux,
Fait luire, d’un rayon frappée,
Quelques paillons sur ses lambeaux ;

D’un pétale découronnée
À chaque soubresaut nerveux,
Sa rose, jaunie et fanée,
S’effeuille dans ses noirs cheveux.

Une cicatrice, pareille
À celle d’un coup de poignard,
Forme une couture vermeille
Sur sa gorge d’un ton blafard ;

Et ses mains pâles et fluettes
Au nez des soupeurs pleins d’effroi
Entre-choquent les castagnettes,
Comme des dents claquant de froid.