Page:Œuvres de Théophile Gautier - Poésies, Volume 3, Lemerre, 1890.djvu/64

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Oh ! je me sens l’âme navrée ;
L’Océan gonfle, en soupirant,
Sa poitrine désespérée,
Comme un ami qui me comprend.

Allons ! peines d’amour perdues,
Espoirs lassés, illusions
Du socle idéal descendues,
Un saut dans les moites sillons !

À la mer, souffrances passées,
Qui revenez toujours, pressant
Vos blessures cicatrisées
Pour leur faire pleurer du sang !

À la mer, spectres de mes rêves,
Regrets aux mortelles pâleurs
Dans un cœur rouge ayant sept glaives,
Comme la Mère des douleurs !

Chaque fantôme plonge et lutte
Quelques instants avec le flot
Qui sur lui ferme sa volute
Et l’engloutit dans un sanglot.

Lest de l’âme, pesant bagage,
Trésors misérables et chers,
Sombrez, et dans votre naufrage
Je vais vous suivre au fond des mers !

Bleuâtre, enflé, méconnaissable,
Bercé par le flot qui bruit,
Sur l’humide oreiller du sable
Je dormirai bien cette nuit !